Par Alexandre Gaillard
Opéra — Giacomo Puccini
Tosca, dans la production
de Pierre Audi, créée en 2014, ouvre la saison lyrique de l’Opéra Bastille.
Cette reprise coïncide avec la nomination du metteur en scène comme futur
directeur du Festival d’Aix-en-Provence. Pour Tosca, il avait imaginé avec le scénographe
Christof Hetzer un décor sur lequel plane l’ombre d’une croix, rendant
palpables les enjeux politiques et dramatiques du livret. Alexandre Gaillard,
Chef de service adjoint des Ateliers Décors à l’Opéra national de Paris, nous
dévoile la genèse du décor de cette production, qui se révéla être une aventure
à la mesure de l’œuvre.
Alexandre Gaillard est Chef
de service adjoint Ateliers Décors, Responsable technique.
Je suis arrivé à l’Opéra
national de Paris en 2003, en qualité d’adjoint du responsable du Bureau
d’Études des décors. En 2007, le responsable des ateliers de décors m’a proposé
d’encadrer toute la partie technique, fonction que depuis j'occupe. À ce titre,
je suis toute la genèse des décors : d’abord l’étude avec les dessinateurs, puis,
quand les plans sortent du Bureau d’Études, j’en supervise la construction en
collaboration avec les Chefs des différents ateliers concernés. Ma mission est
de garantir que chaque décor réponde au mieux aux souhaits des metteurs en
scène et des scénographes, tout en respectant nos propres contraintes
d’exploitation. Cela implique aussi parfois d’orienter les choix des
scénographes ou de les amener à faire des compromis.
Le décor de Tosca a connu
plusieurs ajustements entre la première présentation des maquettes et sa
réalisation finale, à l’époque de sa création en 2014. Lors de la remise des
documents, le décor ne consistait qu’en une seule croix : à l’Acte I, elle
était au sol. Pour nous montrer sa position à l’Acte II, Christof Hetzer la
saisit, passa deux fils autour et hop ! il la suspendit au-dessus de son décor.
Aux problématiques de la croix au sol praticable s’ajoutait alors la
problématique de la suspension. Pour nous, ces problèmes demandaient des
solutions techniques complètement différentes nous amenant à envisager
immédiatement deux croix distinctes. Mais l’illusion reste intacte pour le
spectateur, qui pense que la croix est la même avant et après l’entracte.
La croix suspendue est
celle qui nous a demandé le plus de réflexion. Nous avons d’abord retravaillé
sa forme et ses dimensions avec le scénographe. Un challenge supplémentaire
était de répondre à l’exigence de mobilité de cet élément de décor suspendu par
trois moteurs. Nous avons dû réfléchir à la façon de construire le squelette
métallique de la croix mais aussi à l’optimisation de son enveloppe,
c’est-à-dire les panneaux extérieurs et leur décoration. Trois modèles de
calculs ont été nécessaires pour trouver la solution structurelle la plus
optimale : un squelette en tubes d’aluminium renforcé aux endroits stratégiques
par des éléments en acier. Ensuite, nous avons dû optimiser les habillages
extérieurs. Ils sont réalisés en grande partie en composites (polystyrène/fibre/résine),
ce qui permet d’avoir des panneaux très rigides et légers à la fois. L’Atelier
Décoration a dû relever le dernier défi : rendre le matiérage le plus léger
possible. Quand les premiers échantillons ont été montrés au scénographe, la
couche de matière pesait 1,5 kg au m². Après des tests successifs, les
décorateurs sont arrivés à reproduire le même résultat visuel en réduisant ce
poids par deux. Tous ces efforts réunis ont permis d’atteindre un poids global
de 2,7 tonnes et une valeur maximale aux points de levage de 960kg (limite
fixée à 1 tonne par moteur). Rarement un décor avait demandé un tel
investissement de l’ensemble des Ateliers techniques et artistiques, en
coordination avec le Bureau d’Études.
La première fois que nous
avons suspendu la croix dans les ateliers, son aspect était si intimidant que
nous osions à peine circuler dessous. C’est un décor d’opéra par excellence
dans la mesure où il est plein de paradoxes : c’est un objet très monolithique,
l’aspect minéral de son habillage renforce encore sa densité et participe de sa
présence oppressante sur scène. C’est un objet qui a été optimisé pour être le
plus léger possible et qui est en vérité principalement creux, composé de vide.
J’ai une formation
d’ingénieur, je suis diplômé des Arts & Métiers. Le terme « ingénieur » a
trouvé tout son sens pour moi en travaillant à l’Opéra. Au-delà du réalisme
technique, il faut faire preuve d’ingéniosité créative et de persévérance pour
trouver les « petits plus », les astuces, qui vont permettre de donner vie à la
vision d’un artiste sur scène.
https://www.operadeparis.fr/magazine/la-croix-de-tosca
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