viernes, 27 de enero de 2017

LA CROIX DE TOSCA. OPÉRA TOSCA UN SPECTACLE, UN SOUVENIR

Par Alexandre Gaillard
Opéra — Giacomo Puccini
Tosca, dans la production de Pierre Audi, créée en 2014, ouvre la saison lyrique de l’Opéra Bastille. Cette reprise coïncide avec la nomination du metteur en scène comme futur directeur du Festival d’Aix-en-Provence. Pour Tosca, il avait imaginé avec le scénographe Christof Hetzer un décor sur lequel plane l’ombre d’une croix, rendant palpables les enjeux politiques et dramatiques du livret. Alexandre Gaillard, Chef de service adjoint des Ateliers Décors à l’Opéra national de Paris, nous dévoile la genèse du décor de cette production, qui se révéla être une aventure à la mesure de l’œuvre.



Alexandre Gaillard est Chef de service adjoint Ateliers Décors, Responsable technique.

Je suis arrivé à l’Opéra national de Paris en 2003, en qualité d’adjoint du responsable du Bureau d’Études des décors. En 2007, le responsable des ateliers de décors m’a proposé d’encadrer toute la partie technique, fonction que depuis j'occupe. À ce titre, je suis toute la genèse des décors : d’abord l’étude avec les dessinateurs, puis, quand les plans sortent du Bureau d’Études, j’en supervise la construction en collaboration avec les Chefs des différents ateliers concernés. Ma mission est de garantir que chaque décor réponde au mieux aux souhaits des metteurs en scène et des scénographes, tout en respectant nos propres contraintes d’exploitation. Cela implique aussi parfois d’orienter les choix des scénographes ou de les amener à faire des compromis.
Le décor de Tosca a connu plusieurs ajustements entre la première présentation des maquettes et sa réalisation finale, à l’époque de sa création en 2014. Lors de la remise des documents, le décor ne consistait qu’en une seule croix : à l’Acte I, elle était au sol. Pour nous montrer sa position à l’Acte II, Christof Hetzer la saisit, passa deux fils autour et hop ! il la suspendit au-dessus de son décor. Aux problématiques de la croix au sol praticable s’ajoutait alors la problématique de la suspension. Pour nous, ces problèmes demandaient des solutions techniques complètement différentes nous amenant à envisager immédiatement deux croix distinctes. Mais l’illusion reste intacte pour le spectateur, qui pense que la croix est la même avant et après l’entracte.

La croix suspendue est celle qui nous a demandé le plus de réflexion. Nous avons d’abord retravaillé sa forme et ses dimensions avec le scénographe. Un challenge supplémentaire était de répondre à l’exigence de mobilité de cet élément de décor suspendu par trois moteurs. Nous avons dû réfléchir à la façon de construire le squelette métallique de la croix mais aussi à l’optimisation de son enveloppe, c’est-à-dire les panneaux extérieurs et leur décoration. Trois modèles de calculs ont été nécessaires pour trouver la solution structurelle la plus optimale : un squelette en tubes d’aluminium renforcé aux endroits stratégiques par des éléments en acier. Ensuite, nous avons dû optimiser les habillages extérieurs. Ils sont réalisés en grande partie en composites (polystyrène/fibre/résine), ce qui permet d’avoir des panneaux très rigides et légers à la fois. L’Atelier Décoration a dû relever le dernier défi : rendre le matiérage le plus léger possible. Quand les premiers échantillons ont été montrés au scénographe, la couche de matière pesait 1,5 kg au m². Après des tests successifs, les décorateurs sont arrivés à reproduire le même résultat visuel en réduisant ce poids par deux. Tous ces efforts réunis ont permis d’atteindre un poids global de 2,7 tonnes et une valeur maximale aux points de levage de 960kg (limite fixée à 1 tonne par moteur). Rarement un décor avait demandé un tel investissement de l’ensemble des Ateliers techniques et artistiques, en coordination avec le Bureau d’Études.
La première fois que nous avons suspendu la croix dans les ateliers, son aspect était si intimidant que nous osions à peine circuler dessous. C’est un décor d’opéra par excellence dans la mesure où il est plein de paradoxes : c’est un objet très monolithique, l’aspect minéral de son habillage renforce encore sa densité et participe de sa présence oppressante sur scène. C’est un objet qui a été optimisé pour être le plus léger possible et qui est en vérité principalement creux, composé de vide.
J’ai une formation d’ingénieur, je suis diplômé des Arts & Métiers. Le terme « ingénieur » a trouvé tout son sens pour moi en travaillant à l’Opéra. Au-delà du réalisme technique, il faut faire preuve d’ingéniosité créative et de persévérance pour trouver les « petits plus », les astuces, qui vont permettre de donner vie à la vision d’un artiste sur scène.

https://www.operadeparis.fr/magazine/la-croix-de-tosca

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