Par Laurence Férat, Emilie
Veyretout
Effluves de cuir tanné,
herbes de Sibérie, fleurs trempées de vodka… La parfumerie n’échappe pas au
vent venu de l’Est. Vague de romantisme ou pur folklore pour séduire un marché
très porteur ?
Pas une journée sans que
les médias ne parlent de la patrie de Poutine. Aux rubriques politique et
économie, évidemment, mais aussi culture et maintenant style. Après la mode, la
parfumerie s’enivre de son univers haut en couleur et en odeur.
À l’évocation de l’ancien
royaume des tsars, quel esprit français ne se perd pas immédiatement au milieu
des forêts immenses, des églises orthodoxes regorgeant d’encens fumant et des
effluves d’eucalyptus associés au banya, le fameux bain de vapeur traditionnel
? C’est d’ailleurs à la Russie que la parfumerie moderne doit l’une de ses plus
anciennes familles, les accords cuirés. Cette note de bouleau pyrogéné, avec
lequel les Cosaques entretenaient leurs bottes, est devenue la carte d’identité
olfactive du pays quand Guerlain, en 1875, concocta le premier cuir de Russie,
pour la cour des tsars. Des formules similaires embaumeront l’Europe de la
Belle Époque, avant que Gabrielle Chanel ne livre, en 1927, une des plus belles
interprétations du genre (Cuir de Russie) pour garçonnes dans le vent
(désormais dans la collection Les Exclusifs). Mais la mode passe, et le cuir
puissant des militaires de l’Est s’éteint.
Une fascination réciproque
Cet hiver, le cuir russe
connaît un regain d’intérêt dans la parfumerie de niche. L’âpreté initiale
s’égaye de notes fraîches, de fleurs ou de baumes doux. Certains osent même
l’allusion directe : prenons le cuir assoupli de benjoin intitulé Russkaya
Kozha du label toulousain Berdoues, ou Russian Leather dans la série des Cuirs
Nomades de Memo. Ici, pas de bouleau sombre et démodé mais une vivifiante
bruyère des steppes. « C’est un parfum hommage, cette région du monde me
fascine depuis toujours avec sa poésie, ses grands auteurs, la désinvolture en
même temps que la fierté de son peuple, raconte la fondatrice de Memo, Clara
Molloy. Impossible d’ignorer la fascination réciproque entre nos deux cultures
(lire encadré). Et cela marche aussi dans le luxe : les Russes adorent la
marque, ils sont curieux de voir leurs codes réinterprétés par une maison
française. »
Pour les Russes, la séduction constitue une affaire capitale
Outre son esprit
romantique, qui résonne chez nous, la Russie devient, comme le Moyen-Orient, un
eldorado pour les labels de fragrances. Là-bas, les femmes ont toujours adoré
le parfum. Seulement, sous l’ère soviétique, le choix était maigre (et local).
« Les grands noms comme Chanel et Dior étaient vendus uniquement dans les
berioskas, les magasins en devises réservés aux élites du régime. À la chute du
communisme, leurs produits sont devenus le symbole du chic ultime auprès de la
population, note Isabelle Garcia-Pelayo, agent de marques en Russie. Pour les
Russes, la séduction constitue une affaire capitale. Leur parfum est alors,
comme le maquillage, une façon de se distinguer. Celles qui ont de l’argent et
la jeune génération aiment le très haut de gamme, la niche et les sillages
concentrés. »
Les Russes, fines
connaisseuses
Petite curiosité
culturelle, Climat de Lancôme, un aldéhydé floral créé en 1967 qui, depuis
qu’il est apparu dans L’Ironie du sort, film culte dans tous les pays de
l’ex-bloc soviétique, y reste un best-seller (comme il n’existait plus en
France, il a été réédité pour ce marché).
Forcément, la plupart des
grandes et des petites griffes se pressent dans les luxueux centres commerciaux
de Moscou, de Saint-Pétersbourg, de Novossibirsk… Avec des jus puissants,
parfois créés spécialement pour ce territoire, et des packagings qui sortent de
l’ordinaire - en témoignent chez Armani Privé l’an dernier, Vert et Rouge
Malachite, deux imposants flacons façon pierre prisés par les magazines
nationaux.
Avec un fort pouvoir
d’achat et en fines connaisseuses, les clientes sont aussi exigeantes que les
Occidentales : si leurs mères ont souffert d’isolement, elles ne supportent pas
de se sentir à la traîne. Certains parfumeurs leur réservent d’ailleurs exclusivités
et avant-premières. Comme Kilian Hennessy, l’un des premiers Français à avoir
connu le succès en Russie avec son label By Kilian, qui a commercialisé Vodka
on the Rocks, un cocktail aldéhydes, muguet, mousse de chêne et cardamome, au
moment de l’ouverture de sa boutique à Moscou en 2012. Avant de le sortir dans
l’Hexagone cet hiver. « Les Russes ont moins d’a priori olfactifs que les
Européennes, elles osent davantage, dit M. Hennessy. En revanche, avec elles,
il faut rester dans des codes visuels de luxe évidents. Mon style sexy-boudoir,
avec ses flacons épais laqués de noir, leur parle. »
L. F.
L’essence de l’âme slave selon Clara Molloy
La fondatrice de la marque
Memo nous parle de cette culture avec laquelle elle a des affinités
particulières. « J’ai grandi avec
Tolstoï, Dostoïevski, leurs héroïnes à fleur de peau. Il
existe en Russie une dramaturgie générale, tout peut
arriver, tout le temps. Et même lorsqu’il s’agit du pire, la
dignité est intacte.
Aujourd’hui, je rencontre
beaucoup de Russes, sur place mais aussi qui voyagent, des émigrés, à chaque
fois je suis frappée par ce mélange de gravité, liée à leur histoire, et de
légèreté, d’ivresse de la vie, qui les fait basculer d’un moment à l’autre dans
les excès contraires. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de “roulette russe” ! Alors que le Français pose, se
regarde, le Russe possède un panache
presque sauvage. Et puis ces conversations pendant des heures sur l’amour, le sens de la vie… La poésie reste une
tradition vivante, un art oral, populaire. Pour revenir au parfum, je remarque
que celui-ci est chez les femmes un terrain d’expression du sentiment ; de ma vie, je n’ai vu qu’une journaliste pleurer d’émotion au lancement d’une fragrance, et c’était à Moscou. Là encore, il était question de passion, d’hyperesthésie. Au-delà du luxe, les
Russes aiment profondément notre pays, parlent français, elles ont des étoiles
dans les yeux quand on évoque Paris. » (Propos recueillis
par E. V.)
http://madame.lefigaro.fr/beaute/la-parfumerie-semballe-pour-les-effluves-venues-de-russie-160117-129145?een=58d1b8b141cf41443ada93a9618e1e81&seen=6&m_i=bj_bNGdRGsNwWM%2BVkQhqH90251R_7P7TQM7B7dkgGkfBltq3_2foJo9EWWFx_ASu2g41_ZENLYNj6lIe%2Bh2N7K4cxaiV%2Br#xtor=EPR-300-[madame-beaute]-20170124
No hay comentarios:
Publicar un comentario