L'anti-héros est devenu
héros: le centre Pompidou propose une exposition originale, entièrement dédiée
à Gaston Lagaffe. Qui fête ainsi joyeusement ses 60 ans. Le gentil trublion est
toujours d'actualité. Le neuvième art aussi.
Ami d'un chat dérangé et d'une
mouette criarde, amoureux timide de M'oiselle Jeanne, créateur d'objets aussi
inutiles qu'encombrants, empêcheur de signer des contrats mirifiques, tacheur
d'encre indélébile, conducteur sans permis d'une guimbarde aux freins
défaillants et surtout glandeur sans pareil, Gaston Lagaffe est né, un peu au
hasard, le 28 février 1957 dans les pages du Journal de Spirou sous la plume
acerbe d'un des plus grands maîtres de la BD, André Franquin (1924-1997). Belge
comme il se doit alors.
Sa carrière dure encore
puisque pour célébrer ses bientôt 60 ans, l'anti-héros, "le garçon sans
emploi", s'offre pour lui seul une exposition au Centre Pompidou à Paris
au sein même de l'immense Bibliothèque Publique d'Information (jusqu'au 10
avril, entrée gratuite (mais file d'attente conséquente, www.bpi.fr) et que son
éditeur, Dupuis, en profite pour publier un exceptionnel tirage limité de la
série en 22 volumes, bientôt un must de collectionneur.
900 planches cultes
Tout débute dans la
rédaction de Spirou comme une blague: Franquin propose d'insérer par-ci, par-là
un personnage "sans emploi" particulier: Gaston apparaît pour la
première fois, après quelques traces de pas sur le sol, en bordure de page, en
costume de ville et noeud papillon, sans la moindre explication. Au numéro
suivant, toujours dans un coin de page, Gaston est affalé sur une chaise, cette
fois en col roulé et en jean, son uniforme pour toujours. Huit numéros plus tard,
première parole: il répond à un Spirou interrogateur "j'attends, j'sais
pas..." La semaine suivante, sa carrière prend forme: il renverse de
l'encre sur le concours que doit lancer le journal. Et ainsi de suite pour,
l'année suivante, devenir le personnage central d'une bande dessinée enfin
autonome, trois cases en bas de page fin 1957, en demi-page en 1959 et en
pleine page dès 1966. C'est la consécration, d'autant que dans les aventures en
un épisode s'ajoutent d'autres personnages récurrents à la personnalité
marquée, Mr de Mesmaeker, le patron aux contrats ratés, Prunelle le rédacteur,
Mademoiselle Jeanne la secrétaire, Mr Boulier le comptable, Jules de chez Smith
le voisin, Longtarin l'agent de police etc... Soit 900 planches. Désormais
cultes.
Egalement, au fil des
années, se précise le caractère de ce garçon de bureau à la fois très actif
dans ses inventions et ses dérangements et très passif dans son travail et ses
relations. L'exégèse se veut un peu à l'image des mouvements sociaux des années
1960-80 dans lesquels Franquin semble puiser: pacifisme ambiant, début de
l'écologie, stress dans l'entreprise, consumérisme attentif, valeurs
individuelles, rejet de l'autorité. Le tout dans un monde de gens cravatés,
sérieux et rigoristes. C'est en cela, notamment, que Gaston, gentil subversif,
n'est pas seulement de son époque, mais toujours bien d'aujourd'hui.
De 7 à 77 ans et plus
Car ce rebelle, d'ailleurs
plus en paroles qu'en actes, se retrouve contemporain de mai 68: est exposée
une lettre du siège parisien de l'éditeur datée du 9 mai 1968 –quelques jours
avant les événements- mettant en garde les auteurs d'une possible réaction
préjudiciable à la publication de la commission de censure (sic!) suite à
certains passages marqués "d'irrévérence à l'égard de la police"
(re-sic!) dans quelques épisodes si populaires.
Entre deux espaces de
lecture de la grande bibliothèque, en suivant les pas marqués sur le sol comme
un rappel, le visiteur suit un parcours en quatre étapes, les débuts de Gaston,
son monde, l'art de l'auteur et l'engagement, car l'auteur a soutenu des
causes, Unicef, Amnesty, Greenpeace... Le tout à l'aide de dessins, planches,
extraits, films, photos, albums, souvent inédits. Le lieu n'est pas immense, la
scénographie n'est pas originale, les vitrines tassées, mais l'émotion est
présente, y compris pour les plus jeunes qui connaissent assez peu ce
personnage indolent totalement unique dans le monde de la BD pourtant peuplé.
Le 9e art
Tout cela devrait faire le
succès de cette exposition... et les affaires de son éditeur qui trouve là
l'occasion de relancer les albums colorés de Gaston. Point d'intérêt non
négligeable, en fin de parcours, on peut feuilleter à sa guise et consulter sur
écran les aventures de Lagaffe. Joyeuse initiative dans un environnement des
plus studieux.
C'est aussi l'occasion de
voir ici une nouvelle consécration d'une expression artistique trop souvent
considérée comme mineure: après qu'il y ait eu, ces dernières années, des
expositions parisiennes dédiées à Spiegelman et Bretécher déjà à Pompidou, mais
aussi Moebus à la Fondation Cartier, Crumb au Musée d'art Moderne, Bilal aux
Arts et métiers ou Hugo Pratt à feue la Pinacothèque, cette manifestation
consacrée à Gaston Lagaffe et celle de Tintin (jusqu'au 15 janvier) au Grand
Palais marquent la reconnaissance de cet art, classé neuvième. Le marché
toujours à l'affût des modes et des affaires ne s'y est d'ailleurs pas trompé:
reléguées des années durant dans des vacations secondaires, les enchères liées
à la bande dessinée sont aujourd'hui devenues des musts aux records
spectaculaires, avec des prix sans cesse en hausse spéculative: fin novembre, à
Paris, Artcurial a adjugé une planche noir et blanc d' "On a marché sur la
lune" d'Hergé à 1,55 million d'euros (re re sic!). Et là, ce n'est pas une
gaffe de Gaston...
http://www.huffingtonpost.fr/jerome-stern/expo-60-ans-gaston-lagaffe-beaubourg-pompidou/
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