Un film historique prend
une nouvelle signification pour le public à travers les événements politiques
contemporains
RENEE GHERT-ZAND
Lorsque la réalisatrice
allemande a commencé à travailler il y a quelques années sur son film
historique “Stefan Zweig: Farewell To Europe,” elle ne savait pas quelle
pertinence nouvelle prendrait rapidement son idée.
Mais avec la crise mondiale
des réfugiés, le récent vote en faveur du Brexit et l’élection américaine de
Donald Trump, le film souligne des parallèles qui résonnent, entre les forces
politiques qui ont détruit le monde de Zweig et celles qui semblent tenter de
s’enraciner aujourd’hui.
“Stefan Zweig,” coproduit
par l’Autriche, l’Allemagne et la France, sera présenté officiellement par
l’Autriche dans la section Meilleur Film de langue étrangère lors de la 89e
soirée américaine de remise des prix de l’Academy Awards.
Schrader, qui est également
une actrice talentueuse (Aimee & Jaguar), a été fascinée par le bouleversement
psychologique qui a frappé Zweig, né à Vienne, l’un des auteurs les plus
populaires et les plus traduits de la première moitié du 20e siècle.
Comme l’a dit A.O. Scott du
New York Times, Zweig « a laissé derrière lui un corps d’ouvrages varié et
volumineux d’une manière qui touche à l’absurde. Contemporain de Joseph Roth,
Walter Benjamin et de Theodor Herzl, ses récits courts et ses nouvelles étaient
sa force. Tandis que certains ont critiqué sa prose pour sa légèreté présumée,
d’autres ont salué son humanisme et sa simplicité. »
Plus tard, une nouvelle
génération a appris à connaître Zweig lorsque Wes Anderson a révélé que sa
comédie “The Grand Budapest Hotel”, applaudie par la critique, avait été
inspirée par certaines des petites histoires de Zweig.
Ayant fui et trouvé de
prime abord refuge en Grande-Bretagne puis sur l’autre rive de l’Atlantique,
Zweig était hanté par la désintégration brutale de l’Europe libérale et
cosmopolite qu’il aimait et par les horreurs qui ont causé la mort de ceux
qu’il avait laissé derrière lui.
En six épisodes courts
magnifiquement filmés, l’oeuvre de Schrader retrace l’histoire de la vie de
Zweig en exil entre 1936 et jusqu’à son suicide (aux côtés de sa seconde épouse
nommée Lotte, beaucoup plus jeune que lui) en février 1942 à l’âge de 60 ans à
Petropolis, au Brésil.
Le rythme du film n’est pas
conventionnel mais efficace, les choses se déroulant comme en temps réel. Ce
choix, Schrader affirme qu’il était délibéré.
“J’ai rêvé de réaliser un
document historique avec les outils utilisés pour faire un film de fiction”,
explique la réalisatrice.
Dans le premier épisode du
film, le célèbre auteur est accueilli et acclamé comme un homme d’état à Rio de
Janeiro, au mois d’août 1936.
Le ministre des Affaires
étrangères du pays présente Zweig à un groupe de dignitaires. L’écrivain,
interdit de publication dans l’Allemagne nazie, est impressionné par la société
brésilienne, en particulier par ce mode de coexistence pacifique entre
populations de races différentes.
Josef Hader (deuxième à
droite) interprète Stefan Zweig dans ‘Stefan Zweig’ (Dor Film)
Le second épisode nous
emmène à un mois de septembre 1936, où nous retrouvons Zweig à un congrès
littéraire du P.E.N. à Buenos Aires, en Argentine. Quatre-vingt auteurs venus
de 50 pays sont rassemblés pour discuter de la position de l’écrivain au sein
de la société, en particulier dans un contexte de fascisme croissant au sein de
la société européenne.
Dans une interview accordée
à des journalistes qui le poussent à condamner ouvertement d’Hitler, Zweig s’y
refuse, maintenant qu’en tant que pacifiste et artiste, il n’utilisera pas ses
mots comme arme pour répondre à la cruauté de ses opposants.
‘Je ne parlerai pas contre
l’Allemagne. Je ne parlerai jamais contre un pays’
« Je ne parlerai pas contre
l’Allemagne. Je ne parlerai jamais contre un pays. Et il n’y aura pas
d’exception », dit-il.
Zweig, interprété avec une
réserve pleine d’intelligence par Josef Hader, est également visiblement mal à
l’aise lorsque les personnes assemblées et recueillies écoutent l’annonce
solennelle des noms d’intellectuels célèbres qui ont été contraints à l’exil.
C’est également trop dur
pour lui de supporter les applaudissements de la foule lors de la prononciation
de son propre nom. Il peine à rester debout.
Après, le film se projette
à Bahia, au Brésil, au mois de janvier 1941 où, après une tournée de
conférences à travers toute l’Amérique du sud qui a duré des mois, Zweig et son
épouse – qui ont quitté leur maison en Angleterre après l’éclatement de la
guerre – traversent un champ de canne à sucre sous un ciel brûlant.
Zweig rédige des
télégrammes destinés à des ambassadeurs sud-américains, utilisant ses
connexions pour obtenir des visas pour des amis piégés en Europe, piège
symbolisé par un champ en flammes qu’il aperçoit à travers une fenêtre de
voiture.
Le quatrième épisode du
film – qui est aussi le plus fort – se passe immédiatement après, dans le cadre
de New York. Là-bas, Zweig rencontre sa première femme Friderike (interprétée
par la captivante Babara Sukowa, qui a tenu le rôle principal de “Hannah
Arendt,” film réalisé en 2013 au sujet d’une autre exilée juive célèbre).
Friderike est arrivée aux
Etats-Unis en compagnie des deux grandes filles nées d’un premier mariage et de
leurs époux.
Tous ont pu s’échapper
grâce à Varian Fry, un journaliste américain qui a dirigé un réseau de
sauvetage dans la ville française de Vichy qui a pu aider plusieurs milliers de
juifs et d’intellectuels anti-nazis à fuir la France par le port de Marseille.
C’est un Zweig angoissé qui
s’entretient avec Friderike au sujet des lettres désespérées envoyées par des
amis et des relations piégés en Europe, missives qui sont tout autant de
supplications de les sortir du continent en guerre.
Il a déjà dépensé beaucoup
d’argent à payer des garanties, se sentant désespéré et impuissant
puisqu’incapable de venir en aide à qui que ce soit, soupçonnant également
qu’un grand nombre de ses correspondants, là-bas, ont déjà trouvé la mort.
L'auteur juif Stefan Zweig
(capture d'écran Youtube)
Même si l’éditeur américain
de Zweig se présente devant l’auteur avec de bonnes nouvelles concernant ses
romans, qu’il offre à Zweig et à Lotte un endroit où s’installer et travailler
à New Haven, dans le Connecticut, le couple n’est pas prêt pour le nord-est
américain.
En effet, le cinquième
épisode du film les ramène au Brésil, cette fois à Petropolis, au mois de
novembre 1941.
C’est l’anniversaire des 60
ans de l’auteur. Sa dépression est évidente, même lorsqu’il rencontre par
hasard un vieil ami, le rédacteur juif allemand d’un journal qui s’est installé
à Rio et qui est venu passer deux heures dans la ville.
L’épilogue du film présente
les amis, les voisins et les domestiques de Zweig et Lotte réunis dans leur
maison après la découverte, dans leur lit, de leurs corps sans vie. Le couple
s’est en effet suicidé en ingérant du poison.
Zweig a laissé une note
après son suicide dans laquelle il a écrit : “J’envoie tous mes voeux à mes
amis : Puissent-ils vivre suffisamment pour voir l’aube de cette longue nuit.
Moi, qui suis plus impatient, je pars avant eux.” (Cette missive appartient à
la bibliothèque nationale israélienne).
Les critiques de Zweig ont
pu lui reprocher d’avoir refusé de dénoncer le nationalisme fasciste. Elles ont
également condamné son suicide.
Maria Schrader,
réalisatrice du film 'Stefan Zweig' (Christine Fenzl)
“D’autres auteurs et
artistes germanophones – Thomas Mann, Hannah Arendt et Bertolt Brecht qui sont
trois exemples connus et différents — ont transformé leur survie en forme de
résistance. Ils étaient déterminés, face à la catastrophe morale et politique,
à avancer plus vite vers le monde de demain. Zweig… s’est vu, à 60 ans comme
quelqu’un qui appartenait irrévocablement au passé”, a écrit A.O. Scott.
Schrader a déclaré
toutefois au Times of Israel qu’elle éprouvait de la compassion pour son
personnage. Elle dit avoir compris la solitude dont il souffrait parmi les
autres auteurs et intellectuels.
“C’est l’histoire d’un
homme de mots qui a retenu ses paroles, parce qu’il n’existait aucun moyen pour
lui d’articuler ce qu’il voulait dire de manière différentiée, nuancée. Zweig
était un pacifiste radical et il ne voulait pas utiliser le langage comme un
outil de combat”, dit Schrade.
Elle reconnaît que certains
ont perçu le suicide de Zweig comme un acte de lâcheté, mais préfère le voir
comme une action ultime de résistance pacifique.
“Il était déchiré entre
deux mondes. Il était physiquement dans un nouvel endroit, mais son esprit ne
pouvait pas prendre du recul face aux idées de ce qui était en train d’arriver
en Europe et face à la douleur des autres. Son talent pour l’imagination est
devenu une malédiction à la minute même où il est devenu un exilé », explique
Schrader.
La réalisatrice suggère que
le monde d’aujourd’hui devrait s’inspirer de l’oeuvre de Zweig.
“Aujourd’hui, vous n’avez
qu’à cliquer et dire : ‘Je suis favorable à cela’, ou ‘je suis défavorable à
cela’, mais cela ne signifie rien”, dit Schrader.
« Comme Zweig, nous avons
besoin de plus de mots. Nous devons voir l’image en entier, les développements
à une plus grande échelle – pas seulement du jour au lendemain. Si nous
simplifions trop les choses, nous prenons le risque de répondre au radicalisme
par le radicalisme. »
http://fr.timesofisrael.com/un-pretendant-aux-oscars-explore-les-effets-tragiques-de-lexil-sur-stefan-zweig/?utm_source=A+La+Une&utm_campaign=b6e0831f28-EMAIL_CAMPAIGN_2017_01_03&utm_medium=email&utm_term=0_47a5af096e-b6e0831f28-55586581
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