Par AFP agence
OPÉRA - Au théâtre
toulousain, l'Italien Stefano Vizioli met en scène une œuvre phare du «Rossini
allemand» Giacomo Meyerbeer, un drame très politique dénonçant le fanatisme,
qui trouve toute sa résonance dans le monde actuel.
Surgissant des blés jaunis
par l'été, trois figures lugubres aux longs manteaux noirs viennent perturber
le paysage bucolique. «Ces beaux châteaux, ils vous appartiendront. La dîme et
la corvée, elles disparaîtront», promettent aux paysans les trois anabaptistes,
ces chrétiens opposés au pape et prônant un baptême volontaire. «Aux armes»,
chante alors le peuple, fourches et fléaux brandis. Mais chaque révolution doit
avoir son prophète.
Dans Le Prophète, cet opéra
du «Rossini allemand» Giacomo Meyerbeer (1791-1864), créé en 1849 et ressuscité
par le metteur en scène italien Stefano Viziolo au Capitole de Toulouse, le
prophète sera Jean de Leyde, comme le décident les anabaptistes, voyant le
ferment d'un rebelle dans cet amoureux dont la promise a été embastillée par le
comte local. Jean devient «le messie qui brise le fers» du peuple, avant de
réaliser qu'il a servi de marionnette à l'instauration d'une des dictatures
religieuses les plus sanglantes de l'Histoire. De 1534 à 1536, Jean de Leyde
instaure à Münster, en Allemagne, la «Nouvelle Jérusalem». Se proclamant roi de
Sion, il abolit la propriété privée et l'argent, impose le travail forcé, la
polygamie et surtout la terreur.
Un opéra politique,
quasiment disparu depuis le début du XXe
«C'était un véritable
monstre, un boucher adepte du cannibalisme, un personnage aussi charmant
qu'Hitler», ironise le metteur en scène à propos de son personnage dans une
interview à l'AFP. Mais il était surtout un «manipulateur manipulé par ceux qui
voulaient qu'il soit prophète». «S'instaurant fils de Dieu, il est justifié à
être un bourreau. C'est un thème très moderne et un opéra très politique»,
souligne le directeur artistique du Théâtre de Pise, en Italie.
Créé triomphalement à
l'Opéra de Paris en 1849, Le Prophète avait quasiment disparu depuis le début
du XXe siècle. Son auteur, l'Allemand Giacomo Meyerbeer, était pourtant le
compositeur d'opéras le plus joué au XIXe, devant même les Mozart et Verdi. Il
était considéré comme le «Rossini allemand», du fait de son goût pour le style
du maître italien. «Tout vient de Meyerbeer», rappelle M. Vizioli. «Verdi a
volé au Prophète pour Don Carlos. S'en sont également inspirés Saint Saëns et
même Wagner qui pourtant détestait Meyerbeer».
Mais Le Prophète sort
aujourd'hui de l'oubli: joué au printemps dernier à l'Aalto Muziktheater
d'Essen, en Allemagne, il sera également monté à la Deutsche Oper de Berlin en
novembre, après la nouvelle production au Capitole de Toulouse, qualifiée de
«courageuse» par M. Vizioli. «C'est un grand défi. On peut avoir jusqu'à cent
personnes sur scène», rappelle le metteur en scène en référence au «grand
opéra», ce style qu'avait popularisé Meyerbeer après s'être installé à Paris:
des représentations grandioses, avec une distribution et un orchestre
pléthoriques.
Bœuf écartelé, zombies, et
paysannes en tutu
Sur la scène du Capitole,
se bousculent ainsi pendant 3h40 des dizaines d'enfants à la voix d'ange,
enveloppés de linceuls blancs immaculés, des femmes quasi-nues ondulant leur
corps lascif, et des soldats en tenue d'apparat défilant sur des fonds
sinistres, faits tantôt d'une gueule béante aux dents acérées, tantôt de
cadavres pendus dans le vide.
«J'ai voulu placer le drame
dans une boîte étouffée et noire où les éléments symboliques explosent»,
reconnaît M. Vizioli, justifiant ainsi cet immense bœuf écartelé qui domine
parfois le plateau, ou ces figurants déguisés en zombies, tout comme ces
paysannes qui enfilent soudainement des tutus, en plein champ de bataille, pour
danser un ballet incongru sur le style de Casse-Noisette.
«Il y a beaucoup
d'incohérences dans Le Prophète. Il faut l'accepter. La contradiction, il faut
l'aimer et ne pas chercher le rationnel», explique le metteur en scène qui
avait déjà monté deux opéras au Capitole. «Je voulais un peu rigoler»,
confesse-t-il aussi, reconnaissant: «C'est un opéra très noir. Je suis un peu
déprimé à la fin. J'ai besoin d'une Flûte enchantée après».
Le Prophète, au Théâtre du
Capitole à Toulouse, jusqu'au 2 juillet.
http://www.lefigaro.fr/musique/2017/06/24/03006-20170624ARTFIG00104-le-capitole-ressuscite-le-prophete-pour-tuer-le-fanatisme.php
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