Hace casi un año le hicieron esta entrevista al tenor mexicano. Ahora, que su libro "Jongleries" se difunde en español como "Malabares", demuestra seguir estando de evidente actualidad. Merece la pena recuperarla de nuevo.
ROLANDO VILLAZÓN, THÉÂTRE INTÉRIEUR
ROLANDO VILLAZÓN, THÉÂTRE INTÉRIEUR
Samedi 27
avril 2013
En concert à Genève, le ténor raconte comment l’écriture lui a permis de
supporter le silence de sa propre voix, un temps meurtrie
Il porte une
écharpe fluo pour protéger sa gorge, affiche sa bonne humeur pour habiller sa
sensibilité. Rolando Villazón commande une bière, lance quelques blagues,
détend l’atmosphère un brin embourgeoisée du salon d’hôtel où il reçoit,
fenêtre sur un jardin de Neuilly, à Paris.
Il est venu
parler de lui, de son art, et c’est un peu la même chose. Il y a la carrière,
immense, d’un ténor parmi les plus brillants de sa génération. Il y a les
doutes, aussi, les blessures, les prises de distance avec le monde de l’opéra
suite à des problèmes aux cordes vocales dont le Mexicain est désormais guéri.
Il a sorti récemment un album Verdi où sa présence émotionnelle reste intacte,
même si le timbre a perdu de son lustre, et donne un concert consacré au
compositeur bicentenaire ce lundi au Victoria Hall de Genève. Rolando Villazón
est venu à pied, un livre de philosophie sous le bras – il habite à deux pas.
Il raconte comment la passion des mots et des idées lui a permis de traverser
sa convalescence, durant laquelle il a écrit son premier roman.
Le
Temps: Pourquoi avez-vous choisi de vivre à Paris?
Rolando
Villazón: Dans son livre Marelle, l’écrivain Julio Cortazar
fait de la ville un personnage à part entière… ça a été un coup de foudre. Au début, avec mon épouse, nous venions entre mes engagements, de plus en
plus fréquemment. Ici, on peut prendre un café seul, passer un moment avec
soi-même, tout en étant au milieu des autres. Parfois, je m’installe dans le
métro, je lis, je regarde ce que lisent les gens.
Vous souvenez-vous du moment où vous avez senti que
vous feriez du chant votre vie?
On naît chanteur. Tous mes collègues vous diront la même chose. On est
comme les oiseaux: on chante de toute façon. Adolescent, je ne connaissais pas
l’opéra. Et puis je suis tombé sur un disque de Plácido Domingo, des airs
traditionnels, et sa voix m’a bouleversé. J’ai fait un choix définitif à la fin
de l’école obligatoire. J’avais passé des examens pour faire des études de
psychologie, mais finalement j’ai opté pour le conservatoire.
D’ailleurs
votre compagne est psychologue…
Oui. Elle
m’a invité à lire de nombreux ouvrages, m’a encouragé à me lancer dans une
analyse. Mais elle ne m’analyse pas, ou du moins pas ouvertement (rire). Plus
sérieusement, j’ai fait une analyse d’obédience freudienne durant
quatorze ans. Mais depuis deux ans, je lis énormément Jung. J’y trouve une proximité avec
l’art, quelque chose de plus positif et ésotérique que chez Freud. Jung m’a
énormément inspiré durant l’année où j’ai arrêté de chanter. J’ai écrit mon
premier roman, qui sortira en espagnol ce printemps. Le livre s’appelle Malabares, «Jongleries».
Un
livre psychanalytique?
Un peu, dans
la mesure où j’ai cherché à travailler les personnages dans toutes leurs
dimensions. C’est le boulot d’un écrivain autant que d’un chanteur. Il y a
aussi des allégories. Certains passages sont autobiographiques. On rencontre
par exemple un mime qui souffre d’un problème de dos et qui doit s’éloigner de
la scène – ce qui reflète évidemment ce que j’étais en train de vivre. C’est un
choral de personnages qui écrivent des histoires qui parlent d’autres
personnages, sans que l’on sache plus très bien au final qui écrit sur qui. A moins qu’il ne s’agisse d’univers parallèles? J’y parle aussi beaucoup de
clowns, une figure dont je me sens très proche.
On retrouve le clown dans vos premiers pas de metteur
en scène, «Werther» de Massenet ou «L’Elixir d’amour» de Donizetti…
C’est un archétype fortement imprimé en moi, pour parler en termes
jungiens! Le clown peut être ricanant, gentil, méchant, macabre ou
philosophique, c’est un petit démon qui libère, qui questionne, c’est un miroir
déformant qui permet paradoxalement de se prendre au sérieux; passer sa vie à
se moquer de soi-même, c’est très triste. Il faut savoir mesurer ce que l’on a
accompli, éventuellement s’admirer, puis en rire, s’apercevoir que tout cela
compte pour rien du tout. Le clown me permet aussi de ne pas avoir peur de me
tromper. Grâce au clown, j’ai le courage de faire toutes sortes
d’expériences, pas seulement comme artiste, mais surtout en tant qu’être
humain.
Comment s’est passé le passage du chant à la mise en
scène?
J’adore!
J’ai déjà deux autres productions en projet, Traviata et La Rondine. Le metteur en scène doit créer un monde
cohérent, avec ses règles, et convaincre les chanteurs de croire à ces règles. Pendant la mise en place, j’aime être un dictateur face auquel les
chanteurs n’ont rien à dire. Et puis dix jours après, une fois qu’ils ont
compris ma vision, j’aime qu’ils me contredisent, qu’ils me confient leurs
réserves. Alors le vrai travail peut commencer. A la fin des répétitions, on
s’aperçoit que le spectacle ne nous appartient plus, on est devenu un
spectateur parmi d’autres. Je n’ai pas encore vu mes enfants partir, mais
peut-être la sensation est-elle la même. Comme lorsque j’ai mis le point final
à mon livre.
En tant
que chanteur, quel est votre rapport aux personnages que vous endossez?
La distance
est nécessaire pour garder la conscience de la voix et des artifices qu’on
utilise pour créer des émotions. Tout ce que
l’on a travaillé très soigneusement doit devenir subconscient. On doit se muer
en une sorte d’animal de scène, mais c’est le fruit d’une démarche
essentiellement intellectuelle. Le corps doit savoir ce qu’il fait à chaque
instant, c’est une sorte de chorégraphie que l’on remplit de spontanéité. Le chanteur
est un marionnettiste qui fait vivre son personnage. Il est à la fois caché
dans l’ombre, à distance, et très fortement relié au rôle par les fils. Son job, c’est de rendre ce subterfuge invisible, d’effacer cette
cartographie physique. Pour cette raison, j’ai beaucoup plus le trac quand
j’interprète un rôle que lorsque je mets en scène.
Vous avez donc toujours le trac?
Oui, d’autant plus après mon opération. Jeune homme, j’en avais très peu.
Ensuite, avec la renommée viennent les attentes, les pressions. Le moindre
défaut technique est vu comme un signe de faiblesse, alors que les chanteurs
ont des typologies différentes, qui donnent des résultats divers en fonction
des rôles.
Quel
est l’impact des exigences du business sur la santé de la voix?
Avec une bonne technique, on peut quasiment tout chanter. Pas tout le
temps bien sûr, mais on peut se permettre de prendre des risques. On dit: il faut savoir dire non. Mais tout le monde dit tout le temps non! Je pense au
contraire qu’il faut se préparer à dire oui. Bien sûr, ensuite, il faut beaucoup travailler, ce qui peut éventuellement
fatiguer la voix. Mais aujourd’hui il y a des chanteurs avec des techniques
extraordinaires qui subissent des opérations dont le public n’est absolument
pas conscient.
Il y a
un tabou autour de la blessure et de la performance dans
le monde de l’opéra?
le monde de l’opéra?
Prenez un
sportif: quand il revient après une blessure, on dira qu’il n’a pas encore
retrouvé ses sensations. D’un chanteur, on dira qu’il est fini, qu’il chante
trop, qu’il a une mauvaise technique. Et puis il y a cette obligation implicite
pour les artistes lyriques d’être à toute épreuve alors qu’en réalité la voix
est un petit elfe magique, infiniment délicat et précieux.
Vous célébrez
Verdi sur scène
et sur votre album. Comment ce compositeur résonne-t-il en vous?
et sur votre album. Comment ce compositeur résonne-t-il en vous?
Verdi, c’est du belcanto, mais avec du feu, du dramatisme. C’est une
esthétique vocale en soi. J’aime l’aspect populaire de son œuvre. Non seulement
il sait écrire des «tubes», mais surtout les mettre au service du théâtre. Il
n’a pas peur de mettre le rythme en valeur, et en même temps d’ajouter des
mystères d’orchestration. En deux mesures, il peut planter un décor que
d’autres compositeurs mettent des mouvements entiers à installer. A partir de
Verdi, on peut jeter des ponts autant vers Mozart que vers Berio. Il est
littéralement au cœur de l’opéra.
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