miércoles, 5 de marzo de 2014

ACTUALIDAD DE UNA ENTREVISTA DEL AÑO PASADO A ROLANDO VILLAZÓN

Hace casi un año le hicieron esta entrevista al tenor mexicano. Ahora, que su libro "Jongleries" se difunde en español como "Malabares", demuestra seguir estando de evidente actualidad. Merece la pena recuperarla de nuevo.

ROLANDO VILLAZÓN, THÉÂTRE INTÉRIEUR

Samedi 27 avril 2013
 
 Jonas Pulver
/Les temps

 En concert à Genève, le ténor raconte comment l’écriture lui a permis de supporter le silence de sa propre voix, un temps meurtrie

Il porte une écharpe fluo pour protéger sa gorge, affiche sa bonne humeur pour habiller sa sensibilité. Rolando Villazón commande une bière, lance quelques blagues, détend l’atmosphère un brin embourgeoisée du salon d’hôtel où il reçoit, fenêtre sur un jardin de Neuilly, à Paris.

Il est venu parler de lui, de son art, et c’est un peu la même chose. Il y a la carrière, immense, d’un ténor parmi les plus brillants de sa génération. Il y a les doutes, aussi, les blessures, les prises de distance avec le monde de l’opéra suite à des problèmes aux cordes vocales dont le Mexicain est désormais guéri. Il a sorti récemment un album Verdi où sa présence émotionnelle reste intacte, même si le timbre a perdu de son lustre, et donne un concert consacré au compositeur bicentenaire ce lundi au Victoria Hall de Genève. Rolando Villazón est venu à pied, un livre de philosophie sous le bras – il habite à deux pas. Il raconte comment la passion des mots et des idées lui a permis de traverser sa convalescence, durant laquelle il a écrit son premier roman.

Le Temps: Pourquoi avez-vous choisi de vivre à Paris?

Rolando Villazón: Dans son livre Marelle, l’écrivain Julio Cortazar fait de la ville un personnage à part entière… ça a été un coup de foudre. Au début, avec mon épouse, nous venions entre mes engagements, de plus en plus fréquemment. Ici, on peut prendre un café seul, passer un moment avec soi-même, tout en étant au milieu des autres. Parfois, je m’installe dans le métro, je lis, je regarde ce que lisent les gens.

Vous souvenez-vous du moment où vous avez senti que vous feriez du chant votre vie?

On naît chanteur. Tous mes collègues vous diront la même chose. On est comme les oiseaux: on chante de toute façon. Adolescent, je ne connaissais pas l’opéra. Et puis je suis tombé sur un disque de Plácido Domingo, des airs traditionnels, et sa voix m’a bouleversé. J’ai fait un choix définitif à la fin de l’école obligatoire. J’avais passé des examens pour faire des études de psychologie, mais finalement j’ai opté pour le conservatoire.

D’ailleurs votre compagne est psychologue…

Oui. Elle m’a invité à lire de nombreux ouvrages, m’a encouragé à me lancer dans une analyse. Mais elle ne m’analyse pas, ou du moins pas ouvertement (rire). Plus sérieusement, j’ai fait une analyse d’obédience freudienne durant quatorze ans. Mais depuis deux ans, je lis énormément Jung. J’y trouve une proximité avec l’art, quelque chose de plus positif et ésotérique que chez Freud. Jung m’a énormément inspiré durant l’année où j’ai arrêté de chanter. J’ai écrit mon premier roman, qui sortira en espagnol ce printemps. Le livre s’appelle Malabares, «Jongleries».

Un livre psychanalytique?

Un peu, dans la mesure où j’ai cherché à travailler les personnages dans toutes leurs dimensions. C’est le boulot d’un écrivain autant que d’un chanteur. Il y a aussi des allégories. Certains passages sont autobiographiques. On rencontre par exemple un mime qui souffre d’un problème de dos et qui doit s’éloigner de la scène – ce qui reflète évidemment ce que j’étais en train de vivre. C’est un choral de personnages qui écrivent des histoires qui parlent d’autres personnages, sans que l’on sache plus très bien au final qui écrit sur qui. A moins qu’il ne s’agisse d’univers parallèles? J’y parle aussi beaucoup de clowns, une figure dont je me sens très proche.

On retrouve le clown dans vos premiers pas de metteur en scène, «Werther» de Massenet ou «L’Elixir d’amour» de Donizetti…

C’est un archétype fortement imprimé en moi, pour parler en termes jungiens! Le clown peut être ricanant, gentil, méchant, macabre ou philosophique, c’est un petit démon qui libère, qui questionne, c’est un miroir déformant qui permet paradoxalement de se prendre au sérieux; passer sa vie à se moquer de soi-même, c’est très triste. Il faut savoir mesurer ce que l’on a accompli, éventuellement s’admirer, puis en rire, s’apercevoir que tout cela compte pour rien du tout. Le clown me permet aussi de ne pas avoir peur de me tromper. Grâce au clown, j’ai le courage de faire toutes sortes d’expériences, pas seulement comme artiste, mais surtout en tant qu’être humain.

Comment s’est passé le passage du chant à la mise en scène?

J’adore! J’ai déjà deux autres productions en projet, Traviata et La Rondine. Le metteur en scène doit créer un monde cohérent, avec ses règles, et convaincre les chanteurs de croire à ces règles. Pendant la mise en place, j’aime être un dictateur face auquel les chanteurs n’ont rien à dire. Et puis dix jours après, une fois qu’ils ont compris ma vision, j’aime qu’ils me contredisent, qu’ils me confient leurs réserves. Alors le vrai travail peut commencer. A la fin des répétitions, on s’aperçoit que le spectacle ne nous appartient plus, on est devenu un spectateur parmi d’autres. Je n’ai pas encore vu mes enfants partir, mais peut-être la sensation est-elle la même. Comme lorsque j’ai mis le point final à mon livre.

En tant que chanteur, quel est votre rapport aux personnages que vous endossez?

La distance est nécessaire pour garder la conscience de la voix et des artifices qu’on utilise pour créer des émotions. Tout ce que l’on a travaillé très soigneusement doit devenir subconscient. On doit se muer en une sorte d’animal de scène, mais c’est le fruit d’une démarche essentiellement intellectuelle. Le corps doit savoir ce qu’il fait à chaque instant, c’est une sorte de chorégraphie que l’on remplit de spontanéité. Le chanteur est un marionnettiste qui fait vivre son personnage. Il est à la fois caché dans l’ombre, à distance, et très fortement relié au rôle par les fils. Son job, c’est de rendre ce subterfuge invisible, d’effacer cette cartographie physique. Pour cette raison, j’ai beaucoup plus le trac quand j’interprète un rôle que lorsque je mets en scène.

Vous avez donc toujours le trac?

Oui, d’autant plus après mon opération. Jeune homme, j’en avais très peu. Ensuite, avec la renommée viennent les attentes, les pressions. Le moindre défaut technique est vu comme un signe de faiblesse, alors que les chanteurs ont des typologies différentes, qui donnent des résultats divers en fonction des rôles.

Quel est l’impact des exigences du business sur la santé de la voix?

Avec une bonne technique, on peut quasiment tout chanter. Pas tout le temps bien sûr, mais on peut se permettre de prendre des risques. On dit: il faut savoir dire non. Mais tout le monde dit tout le temps non! Je pense au contraire qu’il faut se préparer à dire oui. Bien sûr, ensuite, il faut beaucoup travailler, ce qui peut éventuellement fatiguer la voix. Mais aujourd’hui il y a des chanteurs avec des techniques extraordinaires qui subissent des opérations dont le public n’est absolument pas conscient.

Il y a un tabou autour de la blessure et de la performance dans 
le monde de l’opéra?

Prenez un sportif: quand il revient après une blessure, on dira qu’il n’a pas encore retrouvé ses sensations. D’un chanteur, on dira qu’il est fini, qu’il chante trop, qu’il a une mauvaise technique. Et puis il y a cette obligation implicite pour les artistes lyriques d’être à toute épreuve alors qu’en réalité la voix est un petit elfe magique, infiniment délicat et précieux.

Vous célébrez Verdi sur scène 
et sur votre album.
Comment ce compositeur résonne-t-il en vous?

Verdi, c’est du belcanto, mais avec du feu, du dramatisme. C’est une esthétique vocale en soi. J’aime l’aspect populaire de son œuvre. Non seulement il sait écrire des «tubes», mais surtout les mettre au service du théâtre. Il n’a pas peur de mettre le rythme en valeur, et en même temps d’ajouter des mystères d’orchestration. En deux mesures, il peut planter un décor que d’autres compositeurs mettent des mouvements entiers à installer. A partir de Verdi, on peut jeter des ponts autant vers Mozart que vers Berio. Il est littéralement au cœur de l’opéra.

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