Jacques Drillon
Le grand comédien, qui a 90 ans ce 27 décembre 2015,
publie des lettres où il célèbre Bardot, Gréco et Depardieu, égratigne Montand,
Mitterrand et lui-même.
Michel PICCOLI. (©Mathieu Zazzo / Pasco)
Si l’on en croit les lettres qu’il envoie à Gilles Jacob, Michel Piccoli ne ressemble pas
aux personnages qu’on s’est plu à lui faire jouer, ces hommes à la fois
séduisants et décevants, pleutres, cyniques, carnassiers, et qui vous font
rêver d’être leur victime.
Il est profond et fin, cultivé, amusant. Il
parle négligemment de ses débuts, qui ressemblent à tous les débuts d’acteurs,
tresse des lauriers à certains, taille des vestes à d’autres («On trouvait
Barrault charmant, mais quand on le connaissait bien, on finissait par en avoir
marre de le trouver charmant.»)
Mais pour jouer les pervers comme il le fait,
d’une manière qui ne s’achète ni ne s’apprend, provoquant cette
attirance-répulsion qui est le vrai secret de cette «autorité» dont
il fait le plus grand cas, il faut avoir fait le tri entre les grands (Buñuel,
Godard) et les moins grands. Ce n’est pas un hasard s’il dit de Buñuel, qui lui
a offert son plus beau rôle dans «Belle de jour»:
Il semblait dire : je ne suis pas celui que vous pensez, et moi-même je ne
sais pas comment je suis.»
Mais on ignorait qu’il était capable
d’affectueux portraits, comme celui qu’il fait de Romy Schneider, ou de Brigitte Bardot :
J’ai été ébloui par son
innocence et sa spontanéité. Elle était très disciplinée dans son travail. Elle
était à l’heure. Elle connaissait son texte. Elle était de bonne humeur. Elle
jouait aux cartes avec les coiffeurs, les maquilleurs.»
Cet homme, dont la voix de velours pourrait blesser n’importe qui, et en
une seule phrase, a connu la peur de ne pas être à la hauteur, comme le pape de
Moretti; mais dans le même temps, il est tendrement affirmatif. De Juliette
Gréco, dont il a partagé la vie, et qui a fini par le congédier:
On se montre tel qu’on aime être. On voit l’autre telle qu’elle aime être.
On ne joue pas à s’intéresser, on s’intéresse vraiment. C’est ce qui s’est
passé avec elle.»
Pourquoi Piccoli n'a pas été président de la
République
On aime bien qu’il s’aime si peu. S’il admire
inconditionnellementDepardieu, qu’il
trouve «génial» («Il n’avait pas un rond, il buvait comme
un fou. D’ailleurs il est fou»), Montand était «encombré du
sentiment qu’il avait de sa propre grandeur», et quand il a rencontré François Mitterrand, il a été «frappé
par sa satisfaction d’être ce qu’il était».
Voilà pourquoi Piccoli a été acteur, et non président de la République. De toute
façon, il était trop honnête pour cette carrière :
J’ai toujours été sensible à la maladie des malhonnêtes, à leurs
comportements dégoûtants, qui n’avaient rien à voir avec le fait qu’ils soient
riches ou pauvres. Il y a des riches magnifiques et qu’on ne peut
qu’admirer, et il y a des pauvres épouvantables.»
Producteur, il a été vite ruiné. Cavalier, il se voyait plutôt en garçon
d’écurie:
J’aime le balai. Je suis un
maniaque du balai. Je
frotte, je frotte, jusqu’à inventer une crasse imaginaire.»
Il n’y a que l’acteur qui ait été parfaitement réussi. Il est né avec un
visage capable de la plus subtile expression; une variation d’un
demi-millimètre dans le pli de la bouche ou le haussement du sourcil, et tout
le personnage bascule, sa courtoisie devient épouvantable, sa politesse se
transforme en une grossièreté atroce; il porte aussi bien le pardessus que la
toge ou le col roulé, parce que c’est son corps qui transforme le vêtement et
non l’inverse.
Seuls quelques grands Italiens, Moravia, Visconti, possédaient une élégance
aussi princière que la sienne; sa colère est aussitôt jupitérienne, son rire
féroce, et, avec son petit chapeau minable, dans «le Mépris», il est d’une
veulerie somptueuse, archaïque comme le mâle, tragique comme un meurtre
antique.
Cet homme, qui semblait pourtant n’avoir jamais
été vraiment jeune, a vieilli. Il s’en désespère, s’en agace. «Je suis
comme un stylo qui n’a plus d’encre, et je me mets à râler : Où est mon encre?»
«J’aurais désormais tendance à être... disparu.» «Certains films dans lesquels
j’ai joué vont rester, mais je ne reste plus. J’aimerais ne pas mourir!» Et
certes la vieillesse est d’une insolence impardonnable.
http://bibliobs.nouvelobs.com/de-l-ecrit-a-l-ecran/20151112.OBS9335/michel-piccoli-je-suis-comme-un-stylo-qui-n-a-plus-d-encre.html
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