L'ancien président prend ce
vendredi le rôle du brillant élève prêt à répondre aux "questions pour un
champion" de la nouvelle émission littéraire de Public Sénat: "Livres
& vous".
Fini le bling-bling, voici
ce que Nicolas Sarkozy nous confie de sa relation très personnelle avec la
littérature.
Il adorait citer l'Antigone d'Anouilh: "Je ne suis pas venue apporter la haine, mais l'amour!" mais l'on savait bien que c'était sa "plume", Henri Guaino, qui truffait ainsi ses discours de références littéraires ou historiques, contenant toujours les mots clés Résistance, République, Travail, Amour et bien sûr, France: "La France, elle a 17 ans, le visage de Guy Môquet quand il est fusillé..."
Candidat puis Président de
la République à 52 ans, Nicolas Sarkozy ne s'en cachait pas: son univers
culturel à lui, c'était celui de la jeunesse d'aujourd'hui –les matchs de foot,
le jogging en short jusqu'au perron de l'Elysée et la chanson. Gilbert Bécaud,
parfois "Et maintenant, que vais-je fai-reu..." mais surtout Johnny "Cours
plus vite, Charlie, et tu gagneras/Ne te retourne pas/Cours plus vite, Charlie
et tu gagneras/La fillesera pour toi!" Courir, pédaler, consulter
compulsivement ses tweets, en envoyer sans cesse –y compris en visitant, à
Budapest, le musée de l'Holocauste- voilà, après Jacques Chirac "le roi
fainéant" comme il l'appelait, l'impuissant en politique, et François
Mitterrand le courageux malade croyant aux "forces de l'Esprit" mais
si peu au changement, l'image que "Sarko" voulait donner de lui en
entrant au pas de course à l'Elysée.
"Si, dans son
parcours, un de vous a travaillé dix, quinze ans, dans le bénévolat, ça vaut
autant, non, que de connaître par cœur La Princesse de Clèves? Parce que moi,
enfin, la princesse, faut vous avouer que j'ai beaucoup souffert sur
elle..."
La littérature? Allons,
est-ce que la classe ouvrière demande de la littérature? Elle demande, comme
les cadres, des voitures, des téléviseurs, des jeux, et même des vêtements de
marque. D'ailleurs, quand il tenait une réunion populaire dans le Nord-Pas-de-Calais,
le Président était assuré de déclencher les rires en se moquant de la Princesse
de Clèves et de son auteur, Mme de Lafayette "Si, dans son parcours, un de
vous a travaillé dix, quinze ans, dans le bénévolat, ça vaut autant, non, que
de connaître par cœur La Princesse de Clèves? Parce que moi, enfin, la
princesse, faut vous avouer que j'ai beaucoup souffert sur elle..." *
Les Alain Finkielkraut et
autres Pascal Bruckner pouvaient bien lever les bras au ciel et le traiter d'
"enfant boulimique", Sarkozy s'en moquait. D'ailleurs, quand Guaino
lui avait conseillé, au lendemain de son élection, de se retirer deux jours
dans un monastère pour se recueillir, n'avait-il pas préféré emmener Cécilia à
bord d'un yacht de milliardaire? Bientôt, remarié à Carla, il ferait admirer
aux journalistes invités à sa table la montre offerte par la chanteuse en
insistant sur son prix: 80.000€. "Bling-bling" était sa culture. Car
bling-bling était la jeunesse à laquelle il s'adressait mais aussi le monde des
patrons, dont la référence favorite, glissée par leurs "nègres" dans
les discours, reste ce couplet de René Char:
"Impose ta chance,
Serre ton bonheur,
Et va vers ton risque.
A te regarder, ils
s'habitueront"
Cependant, Sarkozy était
fasciné par Mitterrand. Je me souviens d'un voyage du vieux président
socialiste en Ouzbékistan, où le jeune Ministre représentait le gouvernement
Balladur. Sa fierté, le lendemain d'un dîner "privé", d'avoir parlé
de Malraux (qu'il n'appréciait pas, ce qui avait beaucoup plu à Mitterrand) et
de l'avoir comparé à Hemingway, dont il aimait tant (le Président aussi) Pour
qui sonne le glas. Sans bruit, la Princesse de Clèves cheminait dans son
esprit. Lui, être considéré comme un inculte! Non, c'était trop vexant. Il se
jurait de nous faire découvrir bientôt qu'il n'était pas de la famille de
Giscard l'économiste –qui en faisait des tonnes à la télévision avec
Maupassant, sans nous convaincre de son amour pour la littérature- ni de celle
de Chirac, réfugié dans les "Arts Premiers" pour qu'on le laisse
tranquille avec la culture française. Lui, Sarkozy, renouerait avec la grande
tradition nationale incarnée par le Charles de Gaulle des "Mémoires",
le Georges Pompidou de "l'Anthologie de la poésie française" et de
"Le Nœud gordien" et le François Mitterrand de "La Paille et le
Grain" et "L'Abeille et l'Architecte".
Six ans après son départ de
l'Elysée, Sarkozy n'a pas encore produit une œuvre littéraire. Mais il a
observé ses successeurs: François Hollande, qui semblait n'avoir jamais lu un
roman, trop absorbé qu'il était par la lecture de rapports économiques et
sociaux et par des calculs politiciens dignes de "Baron Noir", n'a
pas réussi à gagner le cœur des Français. Il a quitté le pouvoir humilié. Lui a
succédé Emmanuel Macron, le bon élève du philosophe Paul Ricoeur, l'époux de
Brigitte, une remarquable prof de français, et l'amoureux des écrivains et des
poètes, qu'il cite en toute occasion, récemment encore à la cérémonie d'Ajaccio
en mémoire du Préfet Erignac.
"C'est tellement
important pour moi, confie-t-il. Je ne me suis jamais déplacé sans un livre.
J'en parlais pas, car ça me paraissait tellement intime: ce que vous lisez en
dit tellement sur vous..."
A son tour, voici l'ancien
président dans le rôle du brillant élève, assis dans la bibliothèque du palais
du Luxembourg, prêt à répondre aux "questions pour un champion" du
professeur Adèle Van Reeth, une brillante normalienne qui ouvre avec lui ce
vendredi le deuxième numéro de la nouvelle émission littéraire de Public Sénat:
"Livres & vous". Il est concentré, grave, un peu ému "C'est
tellement important pour moi, confie-t-il. Je ne me suis jamais déplacé sans un
livre. J'en parlais pas, car ça me paraissait tellement intime: ce que vous
lisez en dit tellement sur vous..." Et quelle richesse! Quelle diversité!
Quel appétit! Ce n'est pas un livre qu'il emporterait sur une île déserte, mais
"une bibliothèque"! Jugez-en: d'Alfred de Vigny à Marguerite Duras et
à Houllebecq en passant par Céline et Camus, il a tout lu, et surtout les
romanciers du XIXe: Dumas, Hugo, Maupassant, Balzac –Balzac, son préféré, car
ses personnages de femmes sont si généreux. Sans oublier Stendhal, dont les
héros lui ont toujours paru –il partageait cela avec Sagan- "un peu
niais". Voyez Fabrice à Waterloo: "une personnalité falote, un
pleurnichard". En revanche, quelle surprise! Sarkozy entame un plaidoyer
pour Charles, le malheureux mari d'Emma Bovary, avec sa casquette tournée entre
les mains et son bonnet. "Emma est sotte. Prête à tomber dans tous les
panneaux... Mais lui, Charles, aime à sa manière. Pudeur... dignité..."
Question d'Adèle Van Reeth:
- Vous préférez un cocu à
un héros falot?
- (Sourire) Soyons modeste.
Cela peut arriver à tout le monde. Quand on aime...
Passe l'ombre de Cécilia.
Puis la silhouette mutine de Carla. On entend une chanson d'elle, interprétée
par Julien Clerc "Je veux mes yeux dans vos yeux". Sarkozy est
tendre, mélancolique. On aurait envie de le consoler. Il vient d'avoir 63 ans.
Il a souffert. Il a tant appris du pouvoir et de l'éloignement du pouvoir! Et
s'il avait changé? Ou si l'on s'était trompé sur son compte? Cela pourrait
faire un roman.
"Livres &
vous" avec Nicolas Sarkozy, diffusé sur Public Sénat vendredi 9 février à
22h.
* Anecdote relatée dans le
livre "Carnets intimes de Nicolas Sarkozy", de Christine Clerc (NDLR)
http://www.huffingtonpost.fr/christine-clerc/fini-le-bling-bling-voici-ce-que-nicolas-sarkozy-nous-confie-de-sa-relation-tres-personnelle-avec-la-litterature_a_23355541/?utm_hp_ref=fr-politique
No hay comentarios:
Publicar un comentario