DU 10 OCTOBRE 2018
AU 27 JANVIER 2019
Exposer Sergio
Leone, sa vie et ses films inextricablement liés, c'est éprouver la formidable
puissance d'un imaginaire cinématographique et suivre le destin d'un petit
Romain du Trastevere qui aura beaucoup joué aux cowboys et aux Indiens avant de
transformer les règles et les codes du western pour conquérir le vaste monde.
À L'OUEST, DU NOUVEAU
Genre donné pour
mort dès le début des années 1960, passé avec armes et bagages à la télévision
sous une forme appauvrie et sérielle, le western, autrefois « le cinéma
américain par excellence » (pour reprendre le titre d'un célèbre article
d'André Bazin), ne survivait que dans les rêves de ses adorateurs des salles de
quartier et des cours de récréation.
Sergio Leone était
de ceux-là et il le restera toute sa vie, même après les triomphes commerciaux,
encore capable de demander à un Bernardo Bertolucci éberlué par tant de naïveté
et de « premier degré », pendant le premier travail de défrichage du scénario
d'Il était une fois dans l'Ouest (1968), comment dégainait-il, quand il était
petit, son revolver-jouet, mimant les gestes de l'enfance : plutôt comme ci ou
plutôt comme ça ? Bertolucci se demandait si Leone plaisantait, se moquait de
lui ou s'il était un peu idiot, un peu simple.
L'ÉCRITURE DU FANTASME
Cet étonnant mélange
de croyance enfantine préservée et du très efficace savoir-faire d'un pur
produit des studios de Hollywood-sur-Tibre est l'une des grandes contradictions
leoniennes, mais aussi l'un des secrets de sa geste de cinéaste : Leone ne
parodie pas le western, il ne s'en moque pas, le prend au contraire
terriblement au sérieux et le réinvente patiemment, avec une ambition de plus
en plus haute à chaque étape, parce qu'il en a besoin pour affirmer une
écriture faite de défroques et de figures, une écriture qui se déploie
seulement dans le fantasme, au pays de l'imaginaire.
Hâtivement qualifiés
de « spaghetti » par des critiques désorientés et orphelins de leur propre
enfance, ses westerns ne sont pourtant pas d'opérette et Leone n'aura de cesse
de nourrir l'épure de Pour une poignée de dollars (1964), empruntée à Dashiell
Hammett (La Moisson rouge) via Kurosawa (Yojimbo), d'une sorte de réalisme
empirique et géographique – où le tournage espagnol conduit fatalement à la
frontière mexicaine et au poncho de Clint Eastwood –, fait d'effets de réel
inédits et outrés (la crasse, la bêtise, la violence) et d'anecdotes
historiques encore peu traitées (les bounty killers de Pour quelques dollars de
plus, 1965 ; la prison - camp de concentration d'Andersonville du Bon, la brute
et le truand, 1966). À chaque nouveau film, le succès et les moyens aidant à
l'ambition, Leone rajoute des couches de sens, d'Histoire et de références
culturelles. Comme s'il lui fallait, après avoir revivifié et restitué à
l'imaginaire collectif un genre à l'agonie, le rendre enfin sur-conscient de
lui-même et capable de charrier un véritable torrent réflexif et critique.
MYTHOLOGIE CONTRE HISTOIRE
Sous Leone, le
western renoue avec le lyrisme, celui de ses origines, mais il ne sera plus ni
mensonger, ni révisionniste. L'Histoire a été écrite, la légende maintes fois
imprimée, et la contre-Histoire aussi : plus personne ne peut ignorer que cette
nation a été bâtie sur un cimetière d'Indiens et il ne restera bientôt plus
rien à démythifier – surtout après Arthur Penn (Little Big Man) et Ralph Nelson
(Soldat bleu), qui interviennent tous deux en 1970, un an après Il était une
fois dans l'Ouest, comme des réponses « de gauche » et anti-Vietnam à un film
volontiers mythologique, que les Américains n'ont pas voulu voir tant ils
étaient déjà passés massivement à la contre-culture et au dégoût d'eux-mêmes,
alors que Leone se vautrait dans sa rêverie fordienne et ne finissait pas d'en
jouir, encore et encore, jamais rassasié.
MÉLODRAME ET TRANSPARENCE BIOGRAPHIQUE
Nul besoin d'Indiens
chez Leone, cette histoire-là n'est pas la sienne et lui n'a rien à se
reprocher, mais beaucoup de véritables gangsters, d'entrepreneurs sans trop de
scrupules et leurs hommes de main. Et aussi beaucoup d'enfants perdus. Car s'il
attendra Il était une fois la Révolution (1971) pour afficher un certain
scepticisme quant à la réussite des aventures collectives, s'attirant les
foudres de la gauche italienne qui supportait mal que Leone joue ainsi au
désenchanté, lui qui ne semblait s'intéresser qu'au cinéma et basta !, il a
toujours peuplé ses récits d'images traumatiques, de pertes irréparables et de
très vieux comptes à régler. C'est ainsi qu'on retrouve dans Il était une fois
dans l'Ouest le petit garçon de Pour une poignée de dollars, silhouette
fugitive privée de mère par le méchant, un enfant devenu Harmonica/Bronson, et
rendu au néant une fois accompli le programme narratif : Frank/Fonda lui avait
donné la meilleure des raisons de vouloir le tuer et aussi l'instrument de sa
vengeance, l'harmonica qui avait d'abord servi de bâillon mortel puis d'«
aide-mémoire ».
Leone est un vrai
mélodramatique qui s'assume et il ne recule jamais devant aucune littéralité.
Mais cette simplicité de l'intrigue, ce simplisme diront ses contempteurs,
tandis que ses admirateurs renverront plutôt aux grandes émotions collectives
du cinéma muet, ne peut jamais être taxée d'insincérité. Exposer Leone, c'est
aussi raconter son histoire familiale et là encore, se heurter à une telle
lisibilité du roman des origines qu'elle empêche d'interpréter quoi que ce
soit. Montrer suffit, tout est là.
Dès Pour une poignée
de dollars, Leone dit l'essentiel en signant Bob Robertson. Pas de secret, il
avance à découvert, en tant que « fils de Roberti », père adoré et inventeur du
western italien des années 1910 (La Vampire indienne, Roberto Roberti, 1913),
avec la future maman de Sergio dans le rôle de la squaw ! Si on ajoute que la
carrière de Roberto Roberti eut maille à partir avec le régime fasciste, et
qu'elle ne fut finalement pas très glorieuse mais qu'il parvint après-guerre à
mettre le pied à l'étrier à Sergio, dans un Cinecittà bientôt florissant...
Fils de son père et désir de revanche, trajet à achever, pur ressort de
mélodrame.
LEONE EXAGÈRE TOUJOURS...
... Oui, c'est sa
force et sa signature, et son mélodramatisme originel, voire franchement
primitif, le pousse à une écriture aussi sophistiquée que les intrigues
resteront minces jusqu'à Il était une fois en Amérique, chef-d'œuvre ultime,
récapitulation et mise en doute de tout le chemin parcouru en vingt ans de
cinéma, film-cerveau détraqué où plus rien n'est sûr, ni le souvenir ni la
conclusion de l'histoire. À sa littéralité coutumière répond toute une série de
contrepoints et d'oxymores qui fonde l'écriture leonienne : le trivial et le
lyrisme, bien sûr, la figure classique (le duel, exemple évident) et sa version
expérimentale, tout juste sortie du laboratoire, le spectacle populaire et
l'éloge de la lenteur, voire de la suspension temporelle, le goût de la grimace
et de l'onomatopée et l'envolée vers le sublime. Tout cet arsenal
contradictoire pour aboutir à la constatation de Luc Moullet dans un texte
fondateur (« La majesté du trivial ») : Sergio Leone est un cinéaste
d'avant-garde populaire, commercial et expérimental, « rare exemple filmique
d'une avant-garde comprise et adorée par le plus large public ».
Frédéric Bonnaud
http://www.cinematheque.fr/cycle/exposition-sergio-leone-462.html
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