Depuis 2014, il est le propriétaire des marchés Paul Bert Serpette
dans les Puces du nord de Paris. Cet entrepreneur, patron des salons
d’orientation Studyrama, les a rachetés au duc de Westminster alors que
celui-ci cumulait les procédures judiciaires à son encontre. Visite avec un
passionné.
L’homme est grand, fin. Assis devant un oeuf au plat pour le
petit-déjeuner, Jean-Cyrille Boutmy a quelque chose de britannique. Des yeux
bleus assortis à son écharpe, le phrasé calme des gens sereins, son élégance est
naturelle.
Ce matin froid, dans la salle d’un bistrot aux tables en bois, le
propriétaire du marché Paul Bert Serpette vous accueille avec un franc sourire.
"Je fais toujours une petite halte pour le petit-déjeuner ou le déjeuner
dans ce bistrot. En fait je me partage entre ici et Ma Cocotte, un autre
restaurant situé à quelques centaines de mètres." Entre ces deux adresses,
les deux marchés, sur les treize que regroupent les Puces de Saint-Ouen, sont
parmi les plus emblématiques.
Jean-Cyrille Boutmy
a racheté les marchés au duc de Westminster
En 2014, Jean-Cyrille Boutmy rachète au sixième duc de Westminster
les quatre cent vingt stands qui les composent. Décédé en 2016, Gerald
Grosvenor, duc de Westminster, était le propriétaire des quartiers les plus
chers de Londres, mais également à la tête d’une fortune estimée à dix
milliards d’euros. Le bon ami du prince Charles avait repris Paul Bert
Serpette, vendu par un fonds d’investissement détenu par Albert Frères, avec
l’idée de les rénover pour en augmenter la valeur.
Jean-Cyrille Boutmy et le patron du restaurant Le Paul Bert,
Jean-Michel Escurat. Courtesy of Luc Castel
Las. Les trois cent cinquante antiquaires de ce petit village
gaulois se sont très mal accommodés de leur nouveau bailleur. "En fait, le
métier du duc de Westminster était l’immobilier. Il y a cinq cents ans, ses
ancêtres étaient propriétaires de champs, aujourd’hui devenus les quartiers de
Mayfair et de Belgravia. Il avait des équipes talentueuses ici, mais elles ne
s’intéressaient pas à l’endroit. Une relation très juridique s’était mise en
place avec de nombreux avocats. Il y a eu beaucoup de contentieux",
raconte Jean-Cyrille Boutmy.
Les augmentations de charges et de loyers décidés par les
propriétaires britanniques ont entraîné une levée de boucliers de la part des
antiquaires parisiens. "Lorsque j’ai repris les marchés, il y avait deux
cents procès sur quatre cents stands. C’est un endroit où il faut se mettre
autour d’une table pour discuter et trouver une solution. Aujourd’hui, il ne
reste plus qu’un litige", se félicite l’actuel propriétaire.
Le nouveau chef des
villages Paul Bert Serpette a toujours été un habitué des lieux
Le nouveau chef des villages Paul Bert Serpette a toujours été un
habitué des lieux. "J’y vais depuis l’âge de 5 ans. Ma mère allait chez un
marchand de vêtements anciens. J’acceptais de l’accompagner si elle me
promettait de ne pas y rester trop longtemps pour que l’on aille faire ensuite
un tour des stands." Ces visites enfantines ont affiné son goût. "Les
premiers objets que j’ai achetés sont des médailles militaires. C’était facile
d’accès et peu encombrant. Aujourd’hui, je préfère le mobilier classique, le
XIXe siècle, la période Empire et la Restauration, mais aussi le grec et
l’égyptien dans le néoclassique du XIXe."
La vitrine des Tables d’Eva, un stand spécialisé dans les arts de
la table tenu par Eva Cwajg. Courtesy of Luc Castel
Une passion qui a fini par prendre une tournure plus
professionnelle. "J’ai appris que les Puces étaient à vendre lors d’un
déjeuner. Je connaissais plusieurs antiquaires, cela m’a permis de prendre la
température avant l’achat. J’ai regardé le dossier plus attentivement, j’ai
trouvé ça faisable et passionnant. C’est uniquement le fruit du hasard!"
À l’époque, le quotidien Les Échos estimait le montant de la vente
entre 25 et 30 millions d’euros. Une belle somme, même pour un homme qui avait
déjà réussi dans les affaires avec Studyrama. "J’ai débuté par un guide
des bonnes adresses étudiantes à Paris. On était les uns chez les autres, on se
demandait où étaient les restaurants pas cher, les bons endroits pour les
photocopies. Et puis nous avons fait un magazine, un site web et en 2001 les
salons pour l’orientation des étudiants."
"C’est
important de connaître le lieu et de l’aimer pour s’en occuper"
Aujourd’hui, Jean-Cyrille Boutmy vient le vendredi le plus souvent
afin de faire un point sur l’activité. "C’est important de connaître le
lieu et de l’aimer pour s’en occuper." Le propriétaire nous emmène
d’ailleurs le visiter. L’occasion de découvrir des parcours étonnants.
Les vendeurs des Puces de Saint-Ouen sont tous des passionnés,
parfois venus à Paul Bert Serpette sur le tard. Philippe Schuermans, antiquaire
belge, travaillait dans les affaires maritimes avant de céder à sa passion au
tournant de la quarantaine. "J’ai un collègue qui était boulanger avant de
travailler ici", s’amuse-t-il. En face de son emplacement, celui de Joseph
Daaboul, ancien ingénieur chimiste, venu tenir le stand d’un ami un été et qui n’est
jamais reparti.
L’intérieur de l’antiquaire belge Philippe Schuermans. Courtesy of
Luc Castel
Plus loin, Jean-Cyrille Boutmy retrouve Olivier d’Ythurbide et
Benoît Fauquenot. Ils sont à Serpette depuis 1991. Leur espace est un
capharnaüm d’exception. Olivier nous raconte son métier: "Il faut avoir du
flair et être un peu joueur. On sent l’objet mais il faut le payer. La
meilleure manière d’apprendre est de se tromper, comme revendre trop vite par
exemple. Mais avec Internet nous sommes en train de changer d’époque. Tout est
référencé et classé, il y a moins de surprises."
Benoît Fauquenot renchérit: "Nous avons notre magasin mais
nous sommes aussi affiliés à des sites. Des clients achètent par ce biais-là.
Nous leur envoyons l’objet mais nous avons rarement de leurs nouvelles ensuite.
Mais nous voyons également des gens du monde entier. Cet endroit est
unique."
Pour s’en souvenir, Jean-Cyrille Boutmy glisse sa tête dans un
cadre ancien prêté par Stéphane Baquet, artisan spécialisé. "Les Puces
sont un lieu magique où Alain Ducasse aime trouver de quoi décorer ses
restaurants, où Julia Roberts remplace son linge de maisons, où Lenny Kravitz
meuble ses demeures, poursuit-il. On y trouve tout. Tableaux, meubles, arts,
peintures, sculptures, accessoires, maroquineries, vêtements, pour tous les
prix. Cela commence à dix euros et les marchands vous livrent. Ils ne vous
laissent pas un carton devant votre porte. Vous achetez l’objet dans son jus,
vous pouvez aussi le faire restaurer, chacun à ses bonnes adresses d’artisans.
Un village où il faut savoir se perdre."
Par Jérôme Carron
http://www.pointdevue.fr/art-de-vivre/jean-cyrille-boutmy-le-nouveau-duc-de-saint-ouen_8228.html?xtor=EPR-1-[]-[20190116]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20190116
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