lunes, 7 de enero de 2019

WOMEN'S FORUM, PLACE DES FEMMES... LES VÉRITÉS DE CLARA GAYMARD


Par Anne-Marie Rocco                                                                                              
INTERVIEW Au moment où elle quitte la présidence du Women’s Forum, qu’elle avait assurée pendant quatre ans, Clara Gaymard fait le point sur la place des femmes dans la société. Elle revient aussi sur sa vision du capitalisme et le "mouvement pour une économie bienveillante" qu’elle a créé en avril avec Gonzague de Blignières.


Clara Gaymard a quitté fin décembre la présidence du Women’s Forum. (C) SIPA

"C’est mon dernier Women’s Forum", avait annoncé Clara Gaymard le 15 novembre dernier, au deuxième jour de la manifestation qui se tenait dans l’amphithéâtre du Louvre. Après quatre ans à la présidence du Women’s Forum, cette énarque au parcours éclectique, passée par la haute fonction publique et par les instances dirigeantes du géant américain General Electric, a quitté ses fonctions fin décembre sur la pointe des pieds. Elle a décidé de se consacrer à ses mandats d’administratrice – LVMH, Danone, Veolia et Bouygues – ainsi qu’à Raise, la société d’investissement doublée d’un fonds de dotation pour les start-ups qu’elle a cofondée en 2013 avec le financier Gonzague de Blignières. Des choix qu’elle explique dans une interview accordée à Challenges.

Challenges. Pourquoi quitter la présidence du Women’s Forum?

Clara Gaymard. Je suis très fière de ce que nous avons accompli. Aude de Thuin avait créé cet événement, à Deauville, pour promouvoir la vision des femmes dans la société et l’économie. L’objectif était de contribuer à un monde meilleur, c’est-à-dire où chacun a sa place. Avec Chiara Corazza et Anne-Gabrielle Heilbronner, nous avons construit quelque chose d’international, comme le souhaitait Maurice Lévy [dirigeant de Publicis qui a repris le Women’s Forum, NDLR]. Nous avons ramené le Global Forum à Paris et créé des événements dans différents pays comme Singapour ou le Canada. Des forums de ce genre n’existaient pas dans ces pays et ils ont rencontré un vif succès. En 2018, le Women’s Forum a atteint l’équilibre financier, tout en enregistrant une forte croissance.

La démarche initiale a-t-elle changé?

Il ne s’agit pas pour les femmes de faire leur propre promotion ! Le Women’s Forum a pour objectif de changer le monde, c’est très ambitieux et très militant. Nous en avons fait un think tank et un do tank. Pour cela, nous avons construit un comité stratégique et des "daring circles" ["cercles audacieux"] réunissant des entreprises qui peuvent apporter des éléments de réponses dans différents domaines tels que la santé. Un sujet fondamental, car les femmes sont les premiers médecins du monde, même si nous avons perdu ce regard en Europe. Il est important de pouvoir apporter des solutions opérationnelles tout au long de l’année.

Quel est votre état d’esprit au moment de partir?

Je quitte le Women’s Forum avec le sentiment qu’il est sur les rails et qu’il apporte sa pierre à l’empowerment des femmes, ce mot qu’on a tant de mal à traduire en français. Même si j’ai un pincement au cœur, je pense qu’il est en de bonnes mains.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement?

Avec Gonzague de Blignières, nous avons créé Raise pour aider notre pays en aidant la jeunesse et les entrepreneurs. Cette société, qui compte 58 actionnaires, s’est développée bien au-delà de ce que nous imaginions. Nous pensions atteindre 300 millions d’euros d’investissements, nous en sommes à 800 millions, et nous sommes très sollicités. La fondation, à laquelle nous donnons 50% de ce que nous gagnons, a reçu 3000 projets et en a accompagné 225 de façon philanthropique. Nous ne manquons pas de projets dont nous pourrons parler dans les semaines à venir.

En avril, vous avez aussi créé avec Gonzague de Blignières le mouvement pour une économie bienveillante. Quels sont ses objectifs?

L’idée, c’est que chacun de ceux qui s’engagent avec nous donne dans son écosystème comme nous le faisons dans la finance. Nous avons pour l’instant quelques 3000 signataires, avec des entreprises comme Nature et Découvertes qui donne 10% de ses bénéfices, ou Eric Scotto, le fondateur d’Akuo Energy, qui finance des projets comme les films Demain et Après-demain. C’est ce dont on a besoin dans l’économie aujourd’hui. Pendant les 70 ans qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, la réussite c’était le « plus », pas le « mieux ». Nous étions dans le capitalisme d’accumulation, dont nous pensons qu’il est maintenant sur le déclin. Nous avons perdu le sens de l’humain et le mal-être de notre société vient aussi de là. C’est ce que nous disent les manifestants des « ronds-points » : chaque personne est aussi importante qu’un grand PDG.

Après quatre ans comme présidente du Women’s Forum, quel constat faites-vous sur la situation des femmes ? A-t-elle progressé pendant ces quatre années que vous leur avez largement consacrées?

On est très loin du compte aujourd’hui quant au pouvoir de décision et au pouvoir de l’argent ! Quand nous avons fondé Raise, nous l’avons fait à parité totale, dans un monde de la finance qui ne l’est pas, et ça change tout. Lors du dernier investissement que nous avons fait, par exemple, il y avait 12 investisseurs et j’étais la seule femme ! Il faut persévérer, car tant qu’elles n’auront pas une partie du pouvoir financier, le monde ne changera pas. Il va aussi falloir que les comités exécutifs soient plus mixtes, à 40/60.

Vous préconisez des quotas pour les comités exécutifs et les comités de direction?

Il faut prendre le temps, peut-être six ou sept ans, mais il faut y arriver. En instaurant des quotas de femmes, la loi Zimmermann a rendu les conseils d’administration plus performants, elle a cassé l’entre-soi. La féminisation a permis leur professionnalisation, leur internationalisation et leur rajeunissement. Il faut aller dans la même direction pour les comex, mais sans brutaliser les entreprises. Au cours des 15 dernières années, comme l’a démontré Emile Servan Schreiber dans ses études, les entreprises comptant plus de 30% de femmes ont surperformé ! Plus que l’idée de justice, c’est la performance économique qu’il faut mettre en avant.

https://www.challenges.fr/femmes/women-s-forum-femmes-les-verites-de-clara-gaymard_634999#xtor=EPR-1-[ChaActu10h]-20190107

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