Le photographe Bruce
Weber signe une rêverie autour de l’acteur.
Par Murielle Joudet
L’acteur Robert
Mitchum, à Los Angeles en 1991, dans le documentaire de Bruce Weber, « Nice
Girls Don’t Stay for Breakfast ». BRUCE WEBER
L’avis du « Monde »
– à ne pas manquer
Bruce Weber,
photographe de renom connu pour ses campagnes publicitaires et ses photos de
mode, dont l’étoile a pâli en 2018 après sa mise en cause pour abus sexuel par
plusieurs mannequins, a aussi marqué les cinéphiles pour Let’s Get Lost (1988),
beau documentaire sur le trompettiste et chanteur de jazz Chet Baker, ressorti
en 2008.
A la vision de Nice
Girls Don’t Stay for Breakfast, dédié au culte de l’acteur américain Robert
Mitchum, on se dit que le terme de documentaire sied mal aux films de Weber. De
Mitchum, on glane des informations sur sa vie privée et son enfance, mais l’intérêt
du film se situe ailleurs, car le sujet est moins l’homme que l’icône.
Bruce Weber a pu
rencontrer plusieurs fois l’acteur en 1991 et ce sont ces séquences inédites
qui font tout le prix de « Nice Girls… »
Pour comprendre ce
que tente de faire Weber, il faut ne pas séparer le photographe de mode du
cinéaste : Nice Girls… se visionne comme on tournerait les pages d’un magazine
de mode. Le terme de rêverie documentaire serait plus approprié. Le film est
composé comme un flux continu de photos, d’extraits de films et de séquences où
Mitchum dîne, chante, flirte avec des actrices ou une groupie. Weber a pu
rencontrer plusieurs fois l’acteur en 1991 et ce sont ces séquences inédites
qui font tout le prix de Nice Girls… Le photographe coule cette matière dans un
film qui semble n’avoir ni début ni fin, animé par la volonté de plonger dans
un bain d’images et de rappeler une époque révolue, celle des mauvais garçons.
Mitchum fut, avec
d’autres, le symbole absolu de la masculinité hollywoodienne : voguant entre
western et film noir, entre camaraderie masculine et guerre des sexes, l’acteur
est l’image même d’une virilité tranquille qui n’a pas besoin de se prouver.
Dragueur invétéré, l’homme est resté marié toute sa vie à sa femme Dorothy
qu’il avait rencontrée à l’âge de 14 ans. L’acteur semble avoir traversé sa vie
de la même manière que les films : avec cet air rêveur et détaché, presque
somnolant – un mythe qui s’en fiche d’en être un et s’amuse de sa propre
notoriété.
Jouer et dormir debout
Dans une archive,
Dick Cavett, présentateur du talk-show qui porte son nom, lui rappelle cette
anecdote rapportée par Jane Russell : sur le tournage de Macao (Josef von
Sternberg, 1952), celle-ci avait l’impression que, pendant les scènes, Mitchum
était à deux doigts de s’endormir dans ses bras.
S’il fallait classer
les acteurs dans des catégories, Mitchum ferait partie de ceux pour qui jouer
et dormir debout sont une seule et même chose. Et de cette autre catégorie
d’acteurs qui, comme il le dit lui-même, ont choisi le cinéma non pas par
ambition dévorante, mais par flemme de travailler. Il donne le sentiment de
tout faire par dilettantisme, pour s’amuser.
Robert Mitchum donne
le sentiment de tout faire par dilettantisme, pour s’amuser
Revoir des extraits
de quelques-uns de ses films (d’une filmographie qui en compte plus de cent
trente), c’est voir apparaître un mauvais garçon qui peut prendre part à
n’importe quelle intrigue sans pour autant que celle-ci vienne perturber ce
sommeil tapi au fond de lui. Plus qu’une méthode d’acteur, cette manière de
somnoler à l’écran constitue pour lui une véritable philosophie de vie, façon
de tout tenir à distance. Distance qui fait tout son mystère : comme beaucoup
de grands acteurs, Mitchum semble se garder en réserve, et ce quant-à-soi
jalousement préservé est sans doute ce qui fait les véritables icônes.
Si Weber érige un
monument en hommage à cette virilité toute hollywoodienne, il a aussi la
finesse de faire de Mitchum moins une réalité qu’une pure projection
fantasmatique, une icône sexuelle qui fascine autant les hommes, les femmes que
les enfants. C’est ce qu’expliquent très bien les témoignages d’acteurs
(Benicio Del Toro, Johnny Depp) qui ont pu le rencontrer et confronter le mythe
à sa réalité. Beau documentaire sur la part masculine du glamour, Nice Girls…
est d’abord et avant tout le film d’un homme qui documente ses rêves de gosse.
https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/02/27/nice-girls-don-t-stay-for-breakfast-robert-mitchum-icone-distante_5428778_3246.html
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