À l’invitation du
château de Versailles, Thierry Malandain a fait danser Marie-Antoinette sur les
lieux même de son mariage, à l’Opéra Royal. Une belle fresque, chorégraphiée
pour les 22 danseurs de la compagnie biarrote. Décryptage.
Tout commence par un
plan de table. Celui du fameux souper versaillais des noces de la jeune
Marie-Antoinette avec le futur Louis XVI, le 16 mai 1770. Autour d’un immense
cadre figurant la table royale, les danseurs se font face. Mêlant la prestance
et l’empressement, l’assurance de la Cour et la crainte de ne plus en être, la
danse est vive, étourdissante… Mais d’emblée, on sent bien que la tempête
gronde. Le feu d’artifice vient d’être annulé, et le souper est avancé. Partis
dans une ronde infernale, les convives font alors tourner le cadre, comme on
fait tourner une table. Une femme et un homme se dégagent de cet ensemble.
L’archiduchesse d’Autriche et Louis le dauphin, élus du jour, doivent désormais
faire face à leur destin. Ils ont 14 et 15 ans. Et déjà, leur monde s’est assombri.
La mise en scène
évoque des événements historiques connus tout en apportant modernité dans leurs
représentations. Courtesy of Christel Jeanne
Faire un ballet
autour de Marie-Antoinette peut sembler aisé. Un peu de danse baroque, beaucoup
de musique d’époque, une foison de costumes, des moments clés bien connus… Mais
après? Que dire de neuf ou de différent? C’est le Château de Versailles qui a
passé commande à Thierry Malandain, le directeur du Ballet de Biarritz. Il
connaît bien l’Opéra Royal pour y avoir créé une Cendrillon d’anthologie,
suivie de La Belle et la Bête, conte connu en France sous Louis XV. Cette fois,
pourtant, il a un peu hésité
Thierry
Malandain Courtesy of Christel Jeanne
"J’ai défriché
de nombreux documents. Chaque lecture ajoutait à mon angoisse!", explique
le chorégraphe, devenu fondamentalement inquiet au fil de son travail. "Je
ne voulais montrer ni sa mort ni son emprisonnement. J’ai décidé de rester sur
la stricte période versaillaise. Dans le fond, nous sommes à l’Opéra Royal.
Pour la musique, Haydn s’est imposé. Ce Viennois fréquenta Marie-Thérèse
d’Autriche, et je n’avais jamais chorégraphié sur une de ses oeuvres. Trois de
ses Symphonies s’intitulent: n° 6 Le Matin, n° 7 Le Midi, n° 8 Le Soir. Cela
fait si bien écho à son destin…" C’est donc l’Adagio du Matin, qui ouvre
ce festin des noces. En coulisses aussi, tout a débuté par ce fameux plan de
table.
"J’ai voulu lui
apporter une image plus humaine", précise la danseuse Claire Lonchampt
Claire Lonchampt, la
longiligne danseuse élue reine, ne savait pas qu’elle le deviendrait.
"Thierry ne nous a rien dit. Il a placé ses personnages en respectant
rigoureusement ce fameux plan, et c’est là
que j’ai compris…" Danser Marie-Antoinette? C’est un fameux pari.
Quelles couleurs lui donner quand on n’a que les bras, les jambes, le torse et
le visage pour la peindre?
"J’ai voulu lui
apporter une image plus humaine, précise encore la danseuse au teint diaphane.
Finalement, sa vie fut une suite de malheurs. Elle n’a pas eu vraiment
d’enfance. Elle perd le luxe d’un pouvoir qu’on lui a imposé, se retrouve
séparée de ses propres enfants et finit sur l’échafaud à 37 ans. Entre-temps,
elle n’est pas aimée de son mari et compense par une forme de frivolité."
Thierry Malandain a
choisi la danseuse Claire Lonchampt pour incarner la reine Marie-Antoinette.
Laquelle a trouvé elle-même sa coiffure. Courtesy of Christel Jeanne
Pour la ballerine,
il s’agit aussi de s’affranchir des images de l’époque. "J’ai dû
m’interroger sur la manière de me coiffer. Il n’était pas pensable de danser
avec les vraies perruques-bateaux de Marie-Antoinette. En regardant des films,
notamment celui de Sofia Coppola, j’ai trouvé ma propre coiffure. Ce sont des
tresses qui pourraient sembler très actuelles, mais qui collent avec
l’esthétique du ballet."
Marie-Antoinette
dansée gagne aussi en liberté. La reine rejoint les bals masqués parisiens, au
grand dam de la Cour et de sa mère. Elle se réfugie à Trianon, matérialisé par
de petits moutons posés au sol et quelques aubades. Elle s’habille
somptueusement, ce qui donne lieu à un fabuleux numéro d’éventails géants,
hommage au Truc en plumes de Zizi Jeanmaire, en plus baroque.
Chaque costume
identifie un sentiment, une émotion, une adresse au public. Courtesy of Christel
Jeanne
A contrario, la
jeune reine est aussi l’une des premières à développer un vrai sentiment
maternel. La scène de la naissance de son premier enfant, très joliment
stylisée, évolue sur l’Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, son ancien
professeur de clavecin à Vienne, qu’elle fit ensuite venir à Versailles.
Le ballet fait
redécouvrir les personnages de l’ombre qui ont gravité autour de la reine de
France
Ayant gravité autour
d’elle, quantité de figures apparaissent. Les fameuses "mesdames
Tantes" du jeune roi sont là, qui l’incitent fâcheusement à ignorer la
comtesse du Barry, laquelle a droit à des solos pressants et venimeux. On
redécouvre aussi les personnages de l’ombre.
Le comte de
Mercy-Argenteau -Arnaud Mahouy- et l’impératrice Marie-Thérèse -Irma Hoffren-
entourent très attentivement Marie-Antoinette, parée pour tous les bals à la
Cour. Elle délaisse la comtesse du Barry -en rouge, Miyuki Kanei-, favorite de
Louis XV -en bleu, Mickaël Conte-, sur les conseils des filles de Louis XV,
"mesdames Tantes", Adélaïde, Victoire et Sophie. Courtesy of Christel
Jeanne
Celui qui l’a fait
rêver, comme le comte de Fersen, avec lequel elle évolue dans un duo fougueux
et poétique. Celui qui l’a fait passer pour un agent double, le trouble comte
de Mercy-Argenteau. "Il incarne la part autrichienne de
Marie-Antoinette", confie son interprète, Arnaud Mahouy. "Les pas de
trois que nous avons avec Marie-Thérèse d’Autriche, sa mère, sont des moments
de nostalgie, de simplicité, de retour aux libertés viennoises. Ils marquent
aussi le début d’un retournement funeste, puisque le comte tente, à travers
elle, d’infléchir la politique de la France au profit de l’Autriche…"
Apparaît enfin, régulièrement, celui qui l’a élevée sur le trône de France,
Louis XVI un brin fantoche, en retrait, mais finalement très touchant.
Thierry Malandain
semble ainsi botter en touche: "Avant de commencer la création avec les
danseurs, je n’arrivais plus à avoir de sympathie pour Marie-Antoinette. J’ai
finalement développé une grande mansuétude à l’égard de son mari. J’ai ainsi
découvert qu’il boitait, d’où ce surnom du “Dindon”. Et une preuve symbolique
de la disharmonie du couple."
Tout s’achève par le
tocsin du malheur, ce 6 octobre 1789, lorsque les portes du château cèdent sous
la colère des Parisiens. Les coups de canon sur La Tempête de Haydn et le bruit
d’une guillotine sonnent la fin d’un règne et d’un ballet rigoureux, en tout
point liés à la majestueuse cité royale qui fait à nouveau danser
Marie-Antoinette, 230 ans après son départ de Versailles.
Marie-Antoinette,
Grand Théâtre de Bordeaux, du 19 au 20 avril 2019
Par Ariane Dollfus
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