Thierry Hillériteau
Un an après Platée, William Christie et Robert Carsen retrouvent Favart pour
les rares Fêtes vénitiennes de
Campra, prototype de l'Opéra-ballet à la française.
D'André Campra,
compositeur français d'origine italienne, qui fait la jonction entre les règnes
de Louis XIV et Louis XV, on connaît les
Grands Motets et surtout l'imposant Requiem, devenu, à la faveur du
renouveau baroque, l'un des emblèmes du répertoire sacré du XVIIIe siècle
français.
Pourtant, si le musicien s'est frayé un chemin dans les livres
d'histoire et les traités d'interprétation entre Lully et Rameau (qu'il
admirait au point d'avoir déclaré «cet homme nous éclipsera tous»), c'est
d'abord comme réformateur de l'opéra… Et c'est à ce titre que l'Opéra-Comique
nous invite à le redécouvrir ce mois-ci, dans ce qui s'annonce comme «la»
production événement de la saison pour les amateurs de baroque. Celle qui verra
les retrouvailles des Arts Florissants de William Christie et du
metteur en scène canadien Robert Carsen,
un an après leur exquise et délirantePlatée de Rameau, transposée dans
l'univers de la mode avec une indubitable éloquence. Celle, surtout, qui voit
la résurrection, trois cents ans après sa création à l'Académie royale en 1710,
de l'ouvrage qui fit entrer l'opéra-ballet français dans le siècle des
Lumières: Les Fêtes vénitiennes de Campra.
La fureur de Casanova.
«Premier ballet dans le genre comique», cette œuvre fut l'une des plus
retentissantes du début du XVIIIe siècle. Elle eut droit à ses propres
parodies (Les Fêtes parisiennes ou villageoises), tint l'affiche trois
cents fois jusqu'à cinquante ans après sa création et - rançon du succès - eut
ses détracteurs, que ce triomphe agaçait. Parmi eux, des Italiens, naturellement,
d'autant plus piqués au vif que c'est à l'un de leurs anciens compatriotes
qu'ils devaient ce «nouveau style à la française». Parmi eux, un fin
connaisseur d'opéra et de la Venise de carnaval fantasmée par Campra: Casanova. Il découvre la
pièce en 1750, lors d'un premier séjour à Paris, et ne manquera pas de
l'égratigner avec sa verve légendaire.
«Ce spectacle est celui qui fait les délices de la nation. Solus
Gallus cantat. Après une symphonie très belle dans son genre, donnée par un
excellent orchestre, on lève la toile, et je vois une décoration qui me
représente la petite place Saint-Marc vue de la petite île de
Saint-Georges.(…)La musique, quoique belle dans le goût antique, m'amuse un peu
à cause de sa nouveauté, puis m'ennuie, et la mélopée me désole à cause de sa
monotonie et des cris hors de propos. Cette mélopée des Français remplace à ce
qu'ils prétendent la mélopée grecque, et notre récitatif qu'ils détestent»,
lit-on dans Histoire de ma vie.
Deux siècles et demi plus tard, Bill Christie et Robert Carsen
entendent laver cet affront, en rappelant «l'excellence» vers laquelle Campra a
su tirer, dans cette œuvre aussi lyrique que chorégraphique, l'art du
divertissement. Une excellence qui rime - esprit français oblige - avec
insolence et esprit galant, voire libertin, que les jeunes chanteurs convoqués
(Emmanuelle de Negri, Cyril Auvity ou Marc Mauillon) auront à cœur de défendre.
Quant à la mise en scène, elle promet d'évoquer aussi bien les «goûts
changeants» du public des fêtes de Venise et la perméabilité des époques que le
jeu de dupes entre masques et vérité que constitue le carnaval.
http://www.lefigaro.fr/musique/2015/01/21/03006-20150121ARTFIG00172-carnaval-baroque-a-l-opera-comique.php
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