Alors qu'Actes Sud publie sa correspondance avec sa muse et
protectrice Pauline Viardot, son opéra historique «Cinq-Mars» renaît à
Versailles.
En dehors du tube Nuit resplendissante, que connaît-on de Cinq-Mars,
antépénultième opéra de Charles Gounod?
Rien ou presque. Pourtant, cette œuvre de la maturité compta comme un ouvrage
décisif dans la vie et la carrière du père de Faust. C'est ce
qu'affirment les chercheurs du Palazzetto Bru Zane. Le Centre de musique romantique française,
basé à Venise, s'apprête à célébrer la résurrection de ce rare chef-d'œuvre,
recréé à la fin du mois à l'Opéra royal de
Versailles.
Un événement artistique et musicologique. Car pour le Palazzetto, Cinq-
Mars n'a rien à envier aux ambitions musicales de Faust: «Le grand
opéra historique avait toujours été une sorte de Graal pour Gounod, dont on a
dit toute sa vie ou presque qu'il était bien meilleur dans le genre plus léger
de l'opéra-comique, explique Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du
centre. Lorsque l'opportunité se présente enfin à lui en 1876, par
l'intermédiaire du tout nouveau directeur de l'Opéra-Comique, Carvalho, il se
jette corps et âme dans le travail.» L'enjeu, à l'époque, est immense.
Depuis Roméo et Juliette, en 1867, Gounod n'a plus composé
d'opéra. Carvalho entend créer le «buzz» avec son grand retour au genre
lyrique. Achevé en trois mois, l'ouvrage semble taillé pour le succès. Les
costumes s'inspirent du peintre Gérôme, alors à la mode. Le sujet, lui, n'est
autre que celui du premier grand roman historique à la française: Cinq-Mars,
d'Alfred de Vigny. Parue en 1826 et en vogue dans toute l'Europe, cette
histoire romantique sur fond de conspiration met aux prises un marquis
légitimiste avec Richelieu.
Minutieuses recherches
La première version de l'opéra, créée le 5 avril 1877 à Paris,
est un triomphe. «Comparez les élans dramatiques du trio du troisième acte avec
les ciselures archaïques du ballet, rapprochez les chœurs élégants des
courtisans de la grande scène de la Conspiration, et vous comprendrez ce qu'il
y a de passion dans l'âme enthousiaste de M. Gounod, ce qu'il y a d'esprit
dans cette tête gauloise, ce qu'il y a d'adresse dans la main de l'un des plus
forts musiciens de ce temps-ci», peut-on lire trois jours plus tard dans la
célèbre gazette de critiques Le Ménestrel. «À tel point, poursuit
Dratwicki, qu'un représentant de la Scala de Milan présent dans la salle décide
de commander à Gounod une version italienne.»
Le compositeur s'exécute mais supprime les parties parlées pour les
remplacer par des récitatifs chantés, retravaille tout l'ouvrage, compose même
une nouvelle fin pour l'acte III. Tant et si bien qu'une autre version
française voit le jour quelques mois plus tard. Elle sera créée à
l'Opéra-Comique en 1878.
C'est celle-ci, plus fidèle à l'idéal de Gounod, que le Palazzetto a
entrepris d'exhumer. Une tâche épique. Jusqu'à la découverte, il y a seulement
deux mois et demi, à Naples, du conducteur d'origine (la partition utilisée par
le chef, sur laquelle figurent toutes les parties d'orchestre, de chœur et des
solistes), reconstituer le matériel d'orchestre nécessita de minutieuses
recherches. «L'éditeur de la première version, Léon Grus, avait réussi à
devancer son principal rival, qui possédait tout Gounod. Pour marquer le coup,
il avait fait un tel battage que l'on trouve des partitions de la première
version en quantité. Celles de la deuxième, en revanche, sont introuvables dans
les bibliothèques parisiennes. Nous les avons pistées et retrouvées aux quatre
coins du monde, y compris à Washington!»
Recherches qui pourraient n'être qu'un début: «Les détenteurs du fond
Gounod nous ont montré des esquisses qui sont vraisemblablement celles d'une
troisième version que le compositeur avait en tête», confie Alexandre Dratwicki, au
comble de l'excitation. Le musicologue le sait: figure musicale célébrée dans
le monde entier, Gounod est un exemple idéal du remarquable travail
d'exhumation du Palazzetto, sur une époque (le XIXe et le début du
XXe siècle) dont on pensait avoir cerné chefs-d'œuvre et personnalités. La
publication, le 7 janvier, des Lettres de Charles Gounod à Pauline
Viardot, qui inaugure un nouveau partenariat avec Actes Sud, va dans ce
sens. Compilée et critiquée par la spécialiste de la chanteuse, Melanie von
Goldbeck-Stier, cette somme éclaire le musicien sous un jour inédit, notamment
«son rapport ambigu aux femmes et à sa muse».
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