La peur du SIDA, il y a
plus de 30 ans, a entraîné le producteur vers une vie d'activisme LGBT et lui a
valu des récompenses pour son film "Call Me By Your Name"
Par ERIC CORTELLESSA
Howard Rosenman, producteur
de films, prend la parole à l'ambassade d'Israël à Washington D.C. lors de
l'événement LGBT Pride Event le 19 juin 2018. (Autorisation : Ambassade
d'Israël)
WASHINGTON – En 1982,
Howard Rosenman a appris par un médecin qu’il avait le sida. Il n’était pas
vraiment surpris – il a passé une grande partie des années 1970 à faire la fête
et à « s’attirer des ennuis », admet-il – et il avait vu pas mal de gens succomber
à cette mystérieuse maladie. « Tous mes amis ont fini par mourir », a déclaré
le producteur de films juif américain et militant des droits des homosexuels.
Déjà couronné de succès à
Hollywood – il a produit « Sparkle » et « The Main Event », avec Barbara
Streisand et Ryan O’Neal – il a décidé de tout abandonner. « J’ai déménagé en
Israël pour y mourir », a-t-il déclaré.
Les deux parents de
Rosenman étaient originaires de Jérusalem, et il y avait passé de longues
périodes dans sa jeunesse, notamment en tant que médecin dans l’armée
israélienne pendant la guerre des Six Jours de 1967. Il voulait à présent jouer
son dernier acte. Le seul problème est que deux ans plus tard, il n’était
toujours pas mort.
« Mon médecin m’a dit que
si je suis porteur du virus, c’est une forme très atténuée, parce que je n’ai
pas d’infections opportunistes », explique-t-il. « Mais j’ai continué à avoir
la diarrhée, à transpirer et à m’évanouir. Je ne savais pas ce qui se passait,
alors je suis reparti en Amérique. »
Il a commencé à travailler
sur un spectacle de Broadway, en écrivant des blagues pour Shirley MacLaine.
Nuit après nuit dans sa loge, alors qu’ils se préparaient pour le spectacle, il
perdait connaissance. Dans une de ces occasions, il lui a raconté ce qui le
rendait malade : « Elle m’a soulevé et j’ai commencé à pleurer. ‘J’ai le SIDA’,
ai-je dit ».
Shirley MacLaine, se
souvient-il, a rectifié : « Tu n’as pas le SIDA. Tu as une putain d’intolérance
au lactose. »
« Qu’est-ce que tu en sais
? » lui demanda Rosenman.
« Parce que tu n’arrêtes
pas de manger ces putains de sandwiches au fromage. »
Bien sûr, Rosenman est allé
voir un médecin qui lui a dit qu’en fait, il ne pouvait pas digérer les
produits laitiers. Lorsque le premier test de dépistage du VIH est sorti un an
plus tard, en 1985, il a fait le test.
« J’ai arrêté de manger du
fromage et j’ai arrêté d’être malade », a-t-il expliqué. « J’ai ensuite passé
le test et il s’avère que je suis séronégatif. Dieu merci. »
Se consacrer au cinéma
Ce fut un moment décisif
dans la vie de Rosenman. Sentant qu’on lui avait donné une deuxième chance, il
s’est consacré de nouveau à une carrière cinématographique, a changé ses
habitudes et est devenu un militant pour les droits des LGBT et pour la
sensibilisation au sida.
Pour son travail dans les
deux domaines – en tant que producteur de films et avocat – il a récemment été
honoré par l’ambassade d’Israël à Washington, DC pour la manifestation annuelle
du Mois de la fierté.
Quand il a su qu’il n’avait
pas le SIDA, Rosenman a commencé à produire des films documentaires sérieux,
comme en 1989 « Common Threads : Stories from the Quilt », sur le projet NAMES
AIDS Memorial Quilt, qui a remporté l’Oscar du meilleur documentaire ; « The
Celluloid Closet » en 1995, sur l’histoire des représentations LGBT dans
l’histoire du cinéma ; et « Paragraph 175 » en 2000, sur les hommes et les femmes
homosexuels persécutés par les nazis.
Pourtant, le point
culminant de sa carrière – le film qui a réuni ses centres d’intérêt
thématiques, celui qu’il considère comme « le plus personnel » à ses yeux – est
sorti l’année dernière.
Rosenman est le producteur
exécutif de « Call Me By Your Name », le film de 2017 sur une histoire d’amour
gay entre deux jeunes juifs. Ce qui a commencé comme un succès dans les
festivals de cinéma a par la suite été nominé pour le prix du meilleur film et
a remporté l’Oscar de la meilleure adaptation pour le scénario de James Ivory.
Le film est basé sur le roman éponyme d’André Aciman.
A lire : Un jalon du cinéma
gay et l’un des meilleurs films juifs de ces dernières années
C’est Aciman qui a d’abord
attiré l’attention de Rosenman sur son livre, lui demandant d’en faire un film.
« Un de nos amis communs a
téléphoné et m’a dit qu’André voulait que je le lise », a déclaré Rosenman au
Times of Israel dans une interview. « J’ai lu le manuscrit et j’ai tout de
suite vu que tout me concernait : Gay. Juif. »
Le film, que Rosenman a
réalisé pour 3,5 millions de dollars, a ensuite mis 10 ans et demi pour
décoller. Après sa première au Sundance Film Festival l’an dernier, Sony
Pictures Classics l’a acheté pour 6 millions de dollars. Après sa sortie en
salles, le film a rapporté plus de 41 millions de dollars.
La scène la plus célèbre du
film, qui est plus qu’une réminiscence de Philip Roth, est celle d’un des
personnages principaux, joué par Timothee Chamolet, se masturbant dans une
pêche dénoyautée. Il découvre ce qu’il a fait et essaie de la manger avant que
le personnage de Chamolet ne l’arrête.
Dans le roman, le
personnage mange la pêche, mais Rosenman a expliqué que les scénaristes ont
estimé que la scène aurait plus de pouvoir cinématographique si elle n’allait
pas jusqu’au bout. « Nous ne voulions pas qu’il la mange », raconte Rosenman. «
C’est un peu dégoûtant. Mais nous voulions la scène de la pêche dans le film. »
Le réalisateur, Luca
Guadagnino, « a fait l’essai », explique Rosenman. « Il s’est branlé dansune
putain de pêche. Et je pense que le garçon l’a fait aussi. »
Les collaborateurs
artistiques du film ont ensuite eu « une longue discussion » sur la manière de
gérer cette séquence, décidant finalement de faire en sorte que le jeune homme
soit sur le point de la mordre, mais s’arrêtant une fois que son amant le
supplie de ne pas le faire.
Rosenman a comparé ce
moment à la célèbre scène de meurtre dans le film « Psycho » d’Alfred Hitchcock
en 1960, où un personnage est poignardé à mort sous la douche, sans qu’aucune
scène concrète ne se passe à l’écran.
« Tout est laissé à
l’imagination », a-t-il expliqué.
Premiers pas
Dans une grande mesure, la
longue carrière cinématographique de Rosenman a commencé en Israël. En 1967, il
était à l’école de médecine du Hahnemann Medical College à Philadelphie. Juste
avant l’éclatement de la guerre des Six Jours, il s’est porté volontaire dans
l’armée israélienne.
« J’étais comme un soldat
seul », raconte-t-il. « À l’époque, ça ne s’appelait pas comme ça, mais c’est
ce que j’étais. »
Il est resté durant toute
la guerre, dont la plupart du temps il était stationné dans la bande de Gaza,
et a fait une rencontre décisive après la fin de la guerre.
Près d’un mois après que
Tsahal a conquis la Cisjordanie et Jérusalem-Est, le compositeur juif américain
Leonard Bernstein est venu pour un concert historique sur le mont Scopus, où il
a interprété la Resurrection Symphony de Gustav Mahler.
Leonard Bernstein dirigeant
un orchestre. (Paul de Hueck/ The Leonard Bernstein Office, Inc.)
Avant le spectacle,
Bernstein a rencontré Rosenman à Jérusalem.
Rosenman raconte : « Il m’a
vu et a dit : ‘Oh mon Dieu, tu ressembles à un gars que je connais qui était
serveur dans une discothèque à New York. Et je lui ai répondu : « Maestro,
j’étais votre serveur ». Sur quoi il m’a donné quatre billets pour le concert.
» Rosenman, qui a grandi à Brooklyn, a emmené ses parents israéliens au
spectacle.
Lors d’une after-party, Bernstein
lui a demandé s’il voulait être « figurant » dans un documentaire réalisé sur
lui en Cisjordanie. En travaillant ensemble, les deux sont devenus proches,
selon Rosenman. « Tu es un grand conteur d’histoires », lui dit Bernstein. « Tu
devrais quitter l’école de médecine et faire des études artistiques. Tu ne
t’inclineras jamais devant la maîtresse de la science. »
Il est retourné à
Philadelphie des mois plus tard et, en pleine amputation, il a décidé que
Bernstein avait raison. Il a annoncé à l’école qu’il prenait un congé
sabbatique.
Il a ensuite appelé
Bernstein, qui l’a présenté à Katherine Hepburn, qui l’a engagé en tant
qu’assistant pour la comédie musicale « Coco ». Et c’est ce qui a lancé sa
carrière.
« Je suis un ‘spielmeister'
»
Rosenman se rend encore
fréquemment en Israël. Il y a une sœur qui est devenue ultra-orthodoxe.
« Toute ma vie, je
retournerais toujours en Israël, explique-t-il, parce que mon père n’a jamais
su décider où il voulait vivre ».
Lors de l’événement LGBT
Pride Event à l’ambassade, il a évoqué sa relation avec feu Harvey Milk, le
premier élu ouvertement homosexuel de l’histoire de la Californie, assassiné en
1978 par un collègue membre du Board of Supervisors de San Francisco. Stuart
Milk, son neveu, a également été honoré.
Rosenman et son aîné Milk
se sont rencontrés en 1970, et Rosenman était un militant de ses multiples
campagnes politiques – jusqu’à ce qu’il soit finalement élu. « Harvey savait
que j’avais beaucoup d’amis gais et riches, alors chaque fois qu’il se
présentait aux élections, il m’appelait », raconte-t-il. « Nous étions amis. «
Plus Harvey s’impliquait politiquement, plus je l’aidais. »
En raison de son amitié
avec l’icône culturelle, Guz Van Zandt a choisi Rosenman pour un petit rôle
dans son biopic « Milk » de 2008.
Pourtant, en repensant à sa
carrière, Rosenman a précisé que c’est la production des films qu’il a aimé
faire, qu’ils s’inscrivent ou non dans les tendances commerciales de l’époque,
et dont il est le plus fier – en particulier ceux qui ont contribué à briser
les stéréotypes et à améliorer les préjugés à l’égard des gens comme lui.
« J’ai juste suivi mon
instinct et j’ai toujours vendu ce que j’étais capable de vendre »,
poursuit-il. « Je ne m’embête pas avec ces conneries. Je n’y prête jamais
attention. Je fais ce que j’ai à faire. Je suis un ‘spielmeister’. Je suis un
conteur d’histoires. »
https://fr.timesofisrael.com/howard-rosenman-est-venu-en-israel-pour-y-mourir-en-attendant-a-lui-les-oscars/?utm_source=A+La+Une&utm_campaign=e8fd806a4c-EMAIL_CAMPAIGN_2018_07_19_04_01&utm_medium=email&utm_term=0_47a5af096e-e8fd806a4c-55586581
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