Concert et Récital — Symphonies n°1 et 5
La saison de concerts de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris
est consacrée aux six symphonies de Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Réparties en
trois diptyques, elles seront dirigées par Philippe Jordan à l’Opéra Bastille
et à la Philharmonie de Paris. Dépeignant les mouvements de l’âme – joyeuse
avant d’être tourmentée par le fatum –, Tchaïkovski traverse les contrées
russes, leurs danses, leurs couleurs, et dessine un saisissant parcours
autobiographique.
Les six symphonies de
Tchaïkovski forment une sorte de diptyque extrêmement attachant de deux
ensembles tout à la fois singuliers et participant d’un même univers, complet.
Les trois premières, moins connues, sont remarquables de verve et
d’invention – à l’image des premiers sous-titres donnés aux mouvements de la
Symphonie n° 1 « Rêves d’hiver ». Très liées à la danse, elles précèdent les
trois ultimes, les « grandes », marquées par le fatum. Au sein de ces deux
ensembles, la troisième a toutes les caractéristiques d’une symphonie de
transition : liée aux deux premières, elle fait exploser la suite des idées et
prépare à la quatrième. La sixième, elle, tout en gardant la teinte
introspective de celles qui précèdent, marque une atteinte terminale à l’obsession
de la fatalité.
L’esprit de la danse est indissociable de l’œuvre de Tchaïkovski.
Avec ses cinq mouvements, la Troisième Symphonie s’inscrit dans l’esprit de la
suite, tandis que dans la cinquième émerge une valse et que le scherzo de la
sixième est une marche qui nous mène vers le ballet. Le deuxième mouvement de
la Sixième Symphonie à 5/4 est une fausse valse, qui ne se décide pas : comme
une valse à laquelle il manquerait un temps…
Dans les trois grandes symphonies, on n’assiste pas seulement au déploiement
d’une maîtrise exceptionnelle des moyens d’écriture du compositeur : c’est
simultanément l’autobiographie de Tchaïkovski qui devient omniprésente et
déploie son thème du destin. Ce fatum commence dans la Quatrième Symphonie aux
cuivres et cors, et la traverse de bout en bout. À la fin de la Cinquième
Symphonie, le sujet revient dans le finale comme un dernier triomphe, en mode
majeur. Sorte de « leitmotiv », le destin se transforme dans la Symphonie n° 6
« Pathétique » en désir de mort. Jouant avec son destin, Tchaïkovski se rend
sciemment malade à en mourir. La trame rétrospective de sa dernière symphonie
est encadrée par le thème du requiem russe orthodoxe, dans le développement du
premier mouvement de cette dernière symphonie et à la toute fin de l’œuvre.
J’ai choisi de rapprocher la troisième et la sixième pour leurs
qualités de jalons dans cet ensemble symphonique. La deuxième et la quatrième
pour leur proximité d’écriture (l’une réécrite en 1879 répond à l’autre tout
juste créée en 1878) ; la première, la plus imaginative, et la cinquième, la
plus positive, constituent un ensemble introductif au cycle.
Les deux premières symphonies entretiennent une évidente
ressemblance avec l’œuvre de Schumann quant à l’idée poétique (pensons au
Carnaval, aux Scènes d’enfants…) ; un type de simplicité que l’on trouve dans
Casse-Noisette qui est aussi par certains côtés très schumannien. La Troisième
Symphonie s’ouvre par une marche funèbre et se clôt par une polonaise qui fait
tout à la fois songer à la polonaise d’Eugène Onéguine et au Concerto pour
violon de Schumann. Sa technique de développements est assez beethovénienne,
mais plus spontanée, avec quelque chose de plus émotionnel.
Il y a aussi chez Tchaïkovski un côté slave, plus sombre, plus
douloureux, plus épais, plus profond que chez Robert Schumann. Et j’ajouterais
également au nom de Schumann celui de Mahler : il y a chez ces trois
compositeurs une sorte de généalogie d’écriture, probablement liée à ce chaos
intérieur constructif de leur œuvre.
https://www.operadeparis.fr/magazine/des-reves-dhiver-au-chant-dun-cygne
No hay comentarios:
Publicar un comentario