Par Valérie Duponchelle
DÉCRYPTAGE - Comment rendre
compte d'un mouvement populaire et culturel, cinquante ans après ? Beaubourg
centralise le programme de neuf institutions qui ont planché sur le sujet, de
l'université de Nanterre au Palais de Tokyo, en passant par la BNF et les
Archives nationales.
Pour fêter ses 40 ans en
2017, le Centre Pompidou avait coordonné tout un cortège d'expositions et de
collaborations avec les musées et les centres d'art partout en France. Fort de
cette expérience, l'institution récidive pour le 50e anniversaire de Mai 68
(#soixante-huit ou soixantehuit.fr). Même charte graphique pastel, même volonté
claire de rassemblement pour annoncer très officiellement in situ, jeudi matin,
le programme commun des festivités qui uniront neuf institutions au fil de
leurs envies, de leurs couleurs politiques, de leurs souvenirs et de leurs
projections personnelles.
Dans l'ordre protocolaire:
l'université Paris Nanterre , le théâtre des Amandiers de Nanterre, le Palais
de Tokyo, la Cité de l'architecture et du patrimoine, les Beaux-Arts de Paris,
le Centre Pompidou, les Archives nationales, la Bibliothèque nationale de
France et la Cinémathèque française.
Peut-on institutionnaliser
la révolte? N'y a-t-il pas un fossé, voire une contradiction? «Il y a cinquante
ans, le mouvement protestataire de Mai 68 retournait les rues de Paris, de
Nanterre, et les esprits dans la France entière. En lien avec un vaste
mouvement de contestation international, il transformait profondément la
société française. Cinquante ans après, les institutions culturelles
s'associent et interrogent l'histoire et l'héritage de Mai 68 à travers des
rencontres, des expositions, des ouvertures d'archives, des ateliers
participatifs, du théâtre, de la musique, des débats, des interventions
inédites...» Voici le programme dont le subtexte est aussi intéressant que
l'énoncé.
● Université Paris Nanterre
Le 22 mars 1968 à Nanterre
est «ancré dans l'imaginaire collectif comme le point de départ d'un large
mouvement politique et social». Pour le «célébrer», l'université opte pour une
année thématique «1968-2018 Prop'osons!» Soit une déclinaison d'événements, du
«Printemps des utopies et des libertés» aux «Déambulations 68» des journées du
Patrimoine 2018, pour «réinventer l'esprit de 68» dans un élan volontaire
d'«appropriation», mot symptomatique de notre époque (prop-osons.parisnanterre.fr).
Peut-on faire revivre
l'esprit du temps passé? À noter que la tâche est difficile. «L'esprit
français, Contre-cultures 1969-1989», l'exposition pionnière de la Maison rouge
(Paris, XIIe) au printemps dernier était déjà une relecture par de jeunes
curators contemporains d'une scène devenue historique et donc lointaine.
Beaucoup de ses participants, à commencer par le producteur de cinéma Marin
Karmitz, ne s'y sont pas reconnus et ont ouvert le débat.
● Théâtre des Amandiers, à
Nanterre
D'avril à mai 2018, le
centre dramatique national invite, dans son programme «Mondes possibles», des
«créations artistiques dont le point commun est de défricher des territoires
utopiques». Participation annoncée du Centre culturel suisse de Paris (Festival
Extra Ball avec les frères Chapuisat, le grand Roman Signer), de l'université
Paris Nanterre (Global 68) et du Cnap (films d'artistes). En parallèle, la
Terrasse espace d'art de Nanterre présentera une exposition collective,
«1968/2018, des métamorphoses à l'œuvre», soit une vingtaine d'artistes d'Henri
Cueco et la Coopérative des Malassis au Redoutable Jean-Luc Godard.
● Le Palais de Tokyo
Le temple de l'art
contemporain à Partis invite le graffeur Escif, né en 1980, à «déployer à
l'arrière de son bâtiment une peinture monumentale sur laquelle il va
reproduire les écritures qui accompagnaient les révoltes étudiantes de Mai 68
et les graffitis tracés clandestinement par les visiteurs dans les toilettes du
Palais» (Open Borders, à partir du 4 mai). L'artiste qui vit et travaille à
Valence (Espagne) œuvrera aussi en trompe-l'œil à l'intérieur (portes,
escaliers de secours, drapeaux officiels).
● Cité de l'architecture
& du patrimoine
L'exposition «Mai 68,
L'architecture aussi!» Invite à «revisiter le champs des possibles» (sic) et la
«vingtaine d'années, de 1962 à 1984, qui vit le renouvellement de
l'enseignement et accompagne celui de l'architecture, de l'urbanisme et des
professions qui leur sont rattachées» (du 16 mai au 17 septembre).
● Beaux-arts de Paris
Affiches, peintures,
sculptures, installations, films, photographies, tracts, revues, livres,
magazines (150 publications consultables dans une bibliothèque ouverte)
raconteront ces «Images en lutte: la culture visuelle de l'extrême gauche en
France (1968-1974)». À voir au 13, quai Malaquais, VIe, du 21 février au 20
mai. On y retrouvera les affiches de l'Atelier populaire, et notamment les
artistes Eduardo Arroyo, Gilles Aillaud, Noël Dolla, Gérard Fromanger, Olivier
Mosset, Martial Raysse, Claude Rutault...
● Centre Pompidou
«Institution culturelle
dont la préfiguration germe au lendemain de 1968, il y a de l'esprit de Mai
dans ce Centre ouvert sur la société», affirme son communiqué. Au programme
donc, un revival avec «Mai 68- Assemblée générale», soit une «occupation
permanente du Forum sur plus de trois semaines sous forme d'expositions,
débats, performances, projections, ateliers, le tout en entrée libre» (du 28
avril au 20 mai).
● Archives nationales
«Dix millions de grévistes,
une jeunesse dans la rue, un service public à l'arrêt, une économie paralysée».
Avec «68, les archives du pouvoir», les archives nationales proposent de
découvrir des documents en grande partie inédits qui montrent 68 «depuis
l'autre côté de la barricade, depuis les bureaux de l'administration, de la
préfecture ou du pouvoir exécutif» (du 3 mai au 17 septembre sur le site de
Paris, du 24mai au 22 septembre sur le site de Pierrefitte-sur-Seine). Cela
s'annonce à contre-courant du mouvement général, historique, factuel et
forcément passionnant.
● Bibliothèque nationale de
France
Le portrait de Daniel
Cohn-Bendit face à un CRS par feu Gilles Caron (1939-1970) et La Marianne de 68
de Jean-Pierre Ray constituent «deux exemples caractéristiques de la fabrique
des icônes». Avec son fonds extraordinaire et sa rigueur scientifique, la BnF
sort l'album du souvenir dans «Icônes de Mai 68, Les images ont une histoire
(du 17 avril au 26 août)». À noter, en dehors de ce programme officiel,
l'exposition monographique qui sera consacrée ce printemps à Gilles Caron à
l'Hôtel de Ville, puisque son travail a défini «la chorégraphie de la révolte»,
de l'Irlande du Nord aux rues de Paris.
● La Cinémathèque française
Chris Marker (1921-2012)
est un mythe absolu dans la petite planète de l'art contemporain qui le met
souvent en référence de ses expositions et biennales. Conçue par la
Cinémathèque française et coproduite par Bozar (à Bruxelles qui prendra le
relais à l'automne, du 19 septembre au 6 janvier 2019), «Chris Marker,
l'exposition» rendra hommage à cet écrivain, homme d'édition, réalisateur,
voyageur, photographe, musicien et artiste numérique (du 3 mai au 29 juillet).
S'y ajoutera la reproduction grandeur nature de la toute première Quinzaine des
réalisateurs en Mai 69 (Édition 1969 de la Quinzaine des Réalisateurs, du 28
mars au 15 avril).
http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2018/01/18/03015-20180118ARTFIG00167-le-centre-pompidou-lance-les-commemorations-de-mai-68.php
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