En se confrontant à deux
journalistes porte-voix des colères du pays, le président a réaffirmé sa ligne
"centrale".
Par Geoffroy Clavel
POLITIQUE - Quand une
interview présidentielle tourne au débat politique. Le grand entretien accordé
ce dimanche 15 avril par Emmanuel Macron au tandem médiatique inattendu BFMTV
et Mediapart a parfois tourné au pugilat, voire à la cacophonie, le chef de
l'Etat répondant coup pour coup aux questions tranchantes de ses deux
interlocuteurs Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel. Un bras de fer télévisuel à
trois mains marqué par une certaine confusion mais voulu par l'Elysée pour
échapper aux critiques sur la complaisance présumée d'un premier entretien
accordé à TF1 en milieu de semaine et replacer le président de la République au
centre du jeu politique dans un contexte orageux.
Même la mise en scène de
cette très longue interview, plus de 2h30 d'échanges souvent musclés, semblait
trahir l'intention d'installer une confrontation triangulaire imposant Emmanuel
Macron en juge de paix. A l'extrême gauche du petit écran, Edwy Plenel, à
droite toute, Jean-Jacques Bourdin, et, trônant au centre, un président de la
République avec la tour Eiffel en arrière-plan, dans le décor sublime du palais
de Chaillot.
A gauche, un journaliste
d'investigation aussi admiré que critiqué, réputé pour ses positions contre la
"monarchie présidentielle", l'islamophobie et soutien affiché des
luttes sociales. A droite, un intervieweur chevronné, reconnu pour son style
rentre-dedans et sensible aux préoccupations des classes moyennes.
En bref, deux porte-voix
des nombreuses colères qui s'expriment dans le pays, que ce soit dans la rue ou
dans les sondages d'opinion, et face auxquelles Emmanuel Macron a tenté de
réaffirmer son cap politique à quelques semaines de fêter son premier
anniversaire à l'Elysée.
Macron assume: "je
vais toujours au conflit"
Accusé par Edwy Plenel de
passer "en force" et de diviser la France par ses réformes, bousculé
par Jean-Jacques Bourdin sur sa politique contre la fraude fiscale et sur les
paradis fiscaux européens, interpellé sur le creusement des inégalités et sur ses
amitiés avec les riches, dont le milliardaire Bernard Arnault, le chef de
l'Etat n'a, sans surprise, pas passé une soirée tranquille.
Mais c'était probablement
l'effet attendu, comme l'a révélé ce lapsus très révélateur. "Je vais
toujours au conflit", a-t-il laissé échapper en voulant signifier qu'il ne
se dérobait jamais au débat. "Si vous faites des réponses de 5 minutes on
est là jusqu'à minuit", l'avait mis en garde dès le début Jean-Jacques
Bourdin. "Je suis votre homme", lui avait répliqué un Emmanuel Macron
visiblement décidé à en découdre.
Profitant des positions
polarisées de ses interlocuteurs, Emmanuel Macron a donc cherché à incarner une
voix forte mais modérée, prônant la raison et le devoir de responsabilité face
aux conflits. "Là où je suis, on ne peut pas se contenter de donner,
depuis Paris, des leçons de morale", a-t-il rétorqué à Edwy Plenel pour
justifier des frappes françaises contre la Syrie de Bachar al-Assad.
"Arrêtez de dire des bêtises (...) vous n'êtes le ventriloque d'aucun ministre",
a encore répondu Emmanuel Macron au sujet des réticences présumées de Nicolas
Hulot sur l'évacuation de Notre-Dame-des-Landes. "Vous n'êtes pas des
juges autour de cette table. Vous êtes des intervieweurs, je suis président de
la République", a-t-il asséné à ses contradicteurs pour imposer son
autorité.
Pour contourner ses
interlocuteurs pugnaces, Emmanuel Macron n'a pas hésité à user de son "et
en même temps", défendant notamment la suppression partielle de l'ISF afin
de "garder les talents" tout en réaffirmant sa sympathie à l'égard
des "souffrances" populaires ou proposant une "adaptation"
de délit de solidarité plutôt que sa suppression. Un exercice de haute voltige
qui l'a conduit à saluer le sacre du PSG en Ligue 1, tout en réussissant à citer
le parcours européen de l'Olympique de Marseille.
Un discours
"central" adressé au cœur de son électorat
Malgré cette atmosphère
électrique, Emmanuel Macron n'a rien lâché face au pressing de ses
contradicteurs: ni renoncement, ni annonce majeure, ni mea culpa. Exemple
éloquent de cette posture sans concession: le président a refusé de contredire
son ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, qui avait parlé de "submersion
migratoire" pour défendre sa loi asile et immigration qui débarque au Parlement.
Une expression préemptée par le Front national depuis plus de trente ans.
Distinguant les colères
"légitimes" de celles qui ne le sont pas, suscitées par ses réformes,
comme celle de la SNCF, et celles qui couvent depuis des décennies faute de
réponse, comme celle des hôpitaux, le président de la République a démenti
toute "coagulation" des fronts sociaux et assuré qu'il n'avait pas
abandonné son projet de "réconcilier le pays". Un positionnement
"central" comme il l'affectionne, adressé au cœur de son électorat
pour lui signifier qu'il ne cédera rien sur le fond des décisions engagées.
Pour s'en convaincre, il
suffit de relever les extraits de cette confrontation sélectionnés par l'Elysée
pour communiquer sur les réseaux sociaux du président de la République.
"Tout ce qui devra être évacué le sera", a-t-il réaffirmé au sujet de
la Zad de Notre-Dame-des-Landes. "Il n'y aura pas de création d'un nouvel
impôt local, ni d'un impôt national, il n'y aura pas d'augmentation de la
pression" fiscale d'ici à 2022, a-t-il réaffirmé face aux craintes
suscitées par la refonte de la fiscalité locale. "Oui, à partir du 1er
janvier 2020, l'État reprendra progressivement de la dette" de SNCF
Réseau, a-t-il promis tout en jurant que sa réforme ira à son terme. Non, il
n'y aura "pas d'économies sur l'hôpital dans ce quinquennat", a-t-il
promis en rappelant qu'il présenterait un plan d'ampleur sur le sujet d'ici fin
mai.
Comme à son habitude, c'est
à l'échelle européenne qu'Emmanuel Macron a tenté de donner de la hauteur de
vue à son action. Constatant "une montée de l'illibéralisme, c'est-à-dire
des extrêmes, des populismes, de gens qui remettent en cause l'État de
droit", notamment après la réélection triomphale du populiste hongrois
Viktor Orban, le chef de l'Etat a mis en garde contre les "démocraties qui
s'habituent à la faiblesse". "Moi je pense qu'on peut être démocrate
et fort, [...] entendre les colères mais avoir le courage de mener ses réformes
jusqu'au bout".
Un parfait résumé de sa
confrontation inédite sur BFMTV et Mediapart à qui le chef de l'Etat a déjà
accordé une clause de revoyure chaque année jusqu'à la fin de son mandat.
Preuve que ce débat, aussi explosif soit il, ne lui a pas totalement déplu.
https://www.huffingtonpost.fr/2018/04/15/sur-bfmtv-linterview-de-macron-a-tourne-au-debat-explosif-et-cest-exactement-ce-quil-cherchait_a_23411814/
No hay comentarios:
Publicar un comentario