lunes, 16 de abril de 2018

SUR BFMTV, L'INTERVIEW DE MACRON A TOURNÉ AU DÉBAT EXPLOSIF ET C'EST EXACTEMENT CE QU'IL CHERCHAIT


En se confrontant à deux journalistes porte-voix des colères du pays, le président a réaffirmé sa ligne "centrale".

Par Geoffroy Clavel

POLITIQUE - Quand une interview présidentielle tourne au débat politique. Le grand entretien accordé ce dimanche 15 avril par Emmanuel Macron au tandem médiatique inattendu BFMTV et Mediapart a parfois tourné au pugilat, voire à la cacophonie, le chef de l'Etat répondant coup pour coup aux questions tranchantes de ses deux interlocuteurs Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel. Un bras de fer télévisuel à trois mains marqué par une certaine confusion mais voulu par l'Elysée pour échapper aux critiques sur la complaisance présumée d'un premier entretien accordé à TF1 en milieu de semaine et replacer le président de la République au centre du jeu politique dans un contexte orageux.

Même la mise en scène de cette très longue interview, plus de 2h30 d'échanges souvent musclés, semblait trahir l'intention d'installer une confrontation triangulaire imposant Emmanuel Macron en juge de paix. A l'extrême gauche du petit écran, Edwy Plenel, à droite toute, Jean-Jacques Bourdin, et, trônant au centre, un président de la République avec la tour Eiffel en arrière-plan, dans le décor sublime du palais de Chaillot.

A gauche, un journaliste d'investigation aussi admiré que critiqué, réputé pour ses positions contre la "monarchie présidentielle", l'islamophobie et soutien affiché des luttes sociales. A droite, un intervieweur chevronné, reconnu pour son style rentre-dedans et sensible aux préoccupations des classes moyennes.



En bref, deux porte-voix des nombreuses colères qui s'expriment dans le pays, que ce soit dans la rue ou dans les sondages d'opinion, et face auxquelles Emmanuel Macron a tenté de réaffirmer son cap politique à quelques semaines de fêter son premier anniversaire à l'Elysée.

Macron assume: "je vais toujours au conflit"

Accusé par Edwy Plenel de passer "en force" et de diviser la France par ses réformes, bousculé par Jean-Jacques Bourdin sur sa politique contre la fraude fiscale et sur les paradis fiscaux européens, interpellé sur le creusement des inégalités et sur ses amitiés avec les riches, dont le milliardaire Bernard Arnault, le chef de l'Etat n'a, sans surprise, pas passé une soirée tranquille.



Mais c'était probablement l'effet attendu, comme l'a révélé ce lapsus très révélateur. "Je vais toujours au conflit", a-t-il laissé échapper en voulant signifier qu'il ne se dérobait jamais au débat. "Si vous faites des réponses de 5 minutes on est là jusqu'à minuit", l'avait mis en garde dès le début Jean-Jacques Bourdin. "Je suis votre homme", lui avait répliqué un Emmanuel Macron visiblement décidé à en découdre.

Profitant des positions polarisées de ses interlocuteurs, Emmanuel Macron a donc cherché à incarner une voix forte mais modérée, prônant la raison et le devoir de responsabilité face aux conflits. "Là où je suis, on ne peut pas se contenter de donner, depuis Paris, des leçons de morale", a-t-il rétorqué à Edwy Plenel pour justifier des frappes françaises contre la Syrie de Bachar al-Assad. "Arrêtez de dire des bêtises (...) vous n'êtes le ventriloque d'aucun ministre", a encore répondu Emmanuel Macron au sujet des réticences présumées de Nicolas Hulot sur l'évacuation de Notre-Dame-des-Landes. "Vous n'êtes pas des juges autour de cette table. Vous êtes des intervieweurs, je suis président de la République", a-t-il asséné à ses contradicteurs pour imposer son autorité.

Pour contourner ses interlocuteurs pugnaces, Emmanuel Macron n'a pas hésité à user de son "et en même temps", défendant notamment la suppression partielle de l'ISF afin de "garder les talents" tout en réaffirmant sa sympathie à l'égard des "souffrances" populaires ou proposant une "adaptation" de délit de solidarité plutôt que sa suppression. Un exercice de haute voltige qui l'a conduit à saluer le sacre du PSG en Ligue 1, tout en réussissant à citer le parcours européen de l'Olympique de Marseille.

Un discours "central" adressé au cœur de son électorat

Malgré cette atmosphère électrique, Emmanuel Macron n'a rien lâché face au pressing de ses contradicteurs: ni renoncement, ni annonce majeure, ni mea culpa. Exemple éloquent de cette posture sans concession: le président a refusé de contredire son ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, qui avait parlé de "submersion migratoire" pour défendre sa loi asile et immigration qui débarque au Parlement. Une expression préemptée par le Front national depuis plus de trente ans.

Distinguant les colères "légitimes" de celles qui ne le sont pas, suscitées par ses réformes, comme celle de la SNCF, et celles qui couvent depuis des décennies faute de réponse, comme celle des hôpitaux, le président de la République a démenti toute "coagulation" des fronts sociaux et assuré qu'il n'avait pas abandonné son projet de "réconcilier le pays". Un positionnement "central" comme il l'affectionne, adressé au cœur de son électorat pour lui signifier qu'il ne cédera rien sur le fond des décisions engagées.

Pour s'en convaincre, il suffit de relever les extraits de cette confrontation sélectionnés par l'Elysée pour communiquer sur les réseaux sociaux du président de la République. "Tout ce qui devra être évacué le sera", a-t-il réaffirmé au sujet de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. "Il n'y aura pas de création d'un nouvel impôt local, ni d'un impôt national, il n'y aura pas d'augmentation de la pression" fiscale d'ici à 2022, a-t-il réaffirmé face aux craintes suscitées par la refonte de la fiscalité locale. "Oui, à partir du 1er janvier 2020, l'État reprendra progressivement de la dette" de SNCF Réseau, a-t-il promis tout en jurant que sa réforme ira à son terme. Non, il n'y aura "pas d'économies sur l'hôpital dans ce quinquennat", a-t-il promis en rappelant qu'il présenterait un plan d'ampleur sur le sujet d'ici fin mai.

Comme à son habitude, c'est à l'échelle européenne qu'Emmanuel Macron a tenté de donner de la hauteur de vue à son action. Constatant "une montée de l'illibéralisme, c'est-à-dire des extrêmes, des populismes, de gens qui remettent en cause l'État de droit", notamment après la réélection triomphale du populiste hongrois Viktor Orban, le chef de l'Etat a mis en garde contre les "démocraties qui s'habituent à la faiblesse". "Moi je pense qu'on peut être démocrate et fort, [...] entendre les colères mais avoir le courage de mener ses réformes jusqu'au bout".

Un parfait résumé de sa confrontation inédite sur BFMTV et Mediapart à qui le chef de l'Etat a déjà accordé une clause de revoyure chaque année jusqu'à la fin de son mandat. Preuve que ce débat, aussi explosif soit il, ne lui a pas totalement déplu.

https://www.huffingtonpost.fr/2018/04/15/sur-bfmtv-linterview-de-macron-a-tourne-au-debat-explosif-et-cest-exactement-ce-quil-cherchait_a_23411814/

No hay comentarios:

Publicar un comentario