Entretien avec Christiane
Lutz — Par Solène Souriau
La Ronde
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Actuellement en répétition
à l’Amphithéâtre pour une nouvelle production de La Ronde qui rassemble
l’ensemble des artistes et artisans de l’Académie, Christiane Lutz nous parle
de l’opéra de Boesmans créé en 1993 et inspiré de la célèbre pièce d’Arthur Schnitzler.
La Ronde est l’un des plus
grands scandales théâtraux du XXe siècle. Censurée en 1903, elle est interdite
jusqu’en 1920 et, deux années plus tard, Arthur Schnitzler demande à son
éditeur d’en interdire la représentation. À quel point étiez-vous familière de
la pièce ?
La pièce de Schnitzler est
très connue en Autriche et continue d’être étudiée aujourd’hui. Elle est un
reflet de la fin du XIXe siècle et reste très intéressante tant elle a su
pointer les coutumes de cette période et les relations entre l’homme et la
femme à cette époque. Je dirais même qu’il en reste encore aujourd’hui des
réminiscences. La pièce inspire beaucoup les compositeurs puisqu’il en existe
trois adaptations dont celle de Boesmans. Le texte de Schnitzler est si
parfaitement ficelé qu’il permet une mise en tension exceptionnelle et
l’adaptation de Luc Bondy concentre cette tension pour l’adapter au chant.
Arthur Schnitzler procède à une analyse des comportements humains et, comme un
scientifique ferait une vivisection, plonge dans les abîmes de l’homme pour en
faire jaillir les vices.
Quelles différences
observez-vous entre la pièce et le livret de Luc Bondy ?
La différence n’est pas
tant entre la pièce et le livret mais plus entre la pièce et la partition. Dans
La Ronde de Schnitzler, les moments d’amour ne sont jamais clairement exprimés.
Des pointillés remplacent le texte qui, lui, reste d’ailleurs toujours allusif.
Par contre, les transitions musicales dans l’opéra de Boesmans peuvent être
très suggestives. Le rythme, la répétition, les tempi convoquent des images
très claires et explicites. La musique parle toujours plus que les mots.
Danylo Matviienko, Jeanne
Ireland et Sarah Shine en répétition avec Christiane Lutz, Opéra de Paris, 2017
© Eléna Bauer / OnP
Quelle lecture pouvons-nous
avoir de l’œuvre aujourd’hui ?
Nous situons l’opéra
aujourd’hui et prenons comme point de départ la place de la Bastille et la vie
nocturne du quartier. Tous les personnages se croisent : la chanteuse sort de
l’Opéra, le photographe l’attend, le comte sort de la représentation et se
dirige vers un taxi. La circularité de la Place Bastille évoque bien sûr le
caractère cyclique de La Ronde qui fait défiler l’ensemble des couches de la
société qui se rencontrent et se perdent de vue.
La partition alterne entre
chant et dialogue. Comment conciliez-vous les deux ?
Ce qui est incroyable dans
l’opéra de Boesmans, c’est qu’il est structuré en dix scènes à chaque fois
composées de deux personnages mais qu’il n’y a presque aucun duo à proprement
parlé, c’est-à-dire des instants figés où les deux chanteurs chantent en même
temps. La parole n’est jamais au service de la musique et vice-versa. Le chant
s’apparente à de la conversation dans un dialogue fluide et très haletant. Ce
qui rend la pièce très exigeante pour les interprètes qui doivent rester en
permanence en alerte et très attentifs à leurs partenaires. Les jeunes
chanteurs de l’Académie ont l’habitude de chanter ensemble et cela permet une
meilleure écoute. Ils sont très investis.
Comment unifier ces dix
scènes ?
C’est une des grandes
difficultés de la pièce qui est construite comme dix tableaux, dix portraits
psychologiques qui flirtent avec les analyses freudiennes. Le metteur en scène
doit donc réussir à développer chaque personnage en un temps très court. Chaque
couple est projeté sur scène, ses problématiques et complexités dévoilées au
spectateur, mais disparait ensuite pour laisser place très vite à un nouveau
duo. Cependant, on retrouve le thème du tabou dans les dix scènes. À travers
chaque scène, il est important de garder l’image globale de la pièce et se
demander : pourquoi le rideau s’est-il levé ?
https://www.operadeparis.fr/magazine/la-musique-parle-toujours-plus-que-les-mots
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