domingo, 3 de marzo de 2019

AARON SWARTZ, LANCEUR D’ALERTE SUBLIMÉ PAR LES MOTS DE FLORE VASSEUR

Par Mathilde Régis
Dans Ce qu’il reste de nos rêves*, Flore Vasseur inscrit le génie du code dans la lignée des lanceurs d’alerte ayant marqué l’histoire des États-Unis. Broyé par le gouvernement américain, Aaron Swartz était l’enfant qui voulait changer le monde.


Internet ne doit pas servir à vendre de la pâtée pour chiens mais être l’outil pour trouver des remèdes au cancer. Du haut de ses 14 ans, Aaron Swartz ne transige pas avec ses idéaux face aux patrons de la tech’. Virtuose de la programmation informatique dès son plus jeune âge, Internet est son moyen de changer le monde. Créateur d’une encyclopédie collaborative avant Wikipédia et d’Infogami, une plateforme de création de sites et de blogs accessible sans savoir coder, il veut libérer la connaissance. Un combat pour lequel il a sacrifié sa vie. À 26 ans, il est retrouvé pendu à la fenêtre de son appartement new-yorkais. Nous sommes en janvier 2013. Poursuivi par le gouvernement américain, il risquait trente-cinq ans de prison et un million de dollars d’amende pour avoir téléchargé des millions de publications scientifiques sur les serveurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Après quatre ans d’enquête, Flore Vasseur porte son message avec engagement et tendresse dans son dernier ouvrage, Ce qu’il reste de nos rêves.


Dans son road-trip à travers l’Amérique et l’Europe, Flore Vasseur croise la route de Julian Assange, fondateur de Wikileaks devenu l’obsession du FBI suite à ses révélations et à la diffusion de la vidéo Collateral Murder transmise par la lanceuse d’alerte Chelsea Manning. À l’époque, Aaron Swartz a payé au prix fort la traque d’un gouvernement effrayé par les hackers ayant les moyens techniques d’ébranler les pouvoirs en place. La loi a joué contre lui. “Le Computer Fraud and Abuse Act permet de le criminaliser. Peu importe qu’il n’ait commis aucun dommage, rendu sa prise, rien abîmé ni détourné”, écrit Flore Vasseur. D’ailleurs, l’éditeur JSTOR, qui hébergeait les publications scientifiques en question, avait retiré sa plainte contre lui en échange de plusieurs milliers de dollars. Le gouvernement Obama l’attaqua en son nom. Le fils du procureur chargé de l’affaire du Watergate se chargea de mettre la pression sur son ex-petite amie pour découvrir le visage d’Aaron derrière la rédaction du “Manifeste de la guérilla pour le libre accès”. Le FBI tenait un mobile et la préméditation, contre celui qui s’opposait à la “privation de la connaissance” et avait refusé de négocier sa peine en catimini en échange de la perte, à vie, de ses droits civiques. “Le jour de sa mort, Facebook a gagné. Son algorithme est la nouvelle main invisible qui régule rage et consommation, élections et émotions. Sa disparition révèle un destin, une époque et notre tragédie”, écrit Flore Vasseur.

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 “La rencontre avec Snowden est survenue parce que je marchais dans les pas d’Aaron, a confié Flore Vasseur au Lanceur. Je sais qu’il le lisait et que son suicide l’a bouleversé. C’est une espèce de grand frère. Et je suis persuadée qu’il n’aurait pas fait ce qu’il a fait s’il n’y avait pas eu Aaron Swartz.” En 2011, deux ans avant qu’Edward Snowden n’en transmette les preuves, Aaron Swartz avait évoqué l’ampleur de la surveillance de masse des États-Unis, de sa propre population et de ses alliés. Pour comprendre “la filiation et les héritiers” d’un fantôme qui la fascine, Flore Vasseur est allée rencontrer les parents et le cercle proche d’Aaron Swartz. Comme un heureux hasard, elle a fait la rencontre de celui qui le considérait “comme son fils”, Lawrence Lessig. Quand Aaron Swartz avait 14 ans, c’est ensemble qu’ils présentèrent un mouvement de libération du droit d’auteur à travers la création des Creative Commons. Professeur à Harvard, Lawrence Lessig partage avec Aaron la volonté de “contrer l’influence de l’argent en politique”. Il est aussi l’une des rares personnalités à avoir pris la défense d’Edward Snowden aux États-Unis. C’est grâce à ce chemin que la romancière a réalisé, à Moscou, le documentaire Meeting Snowden. Après avoir négocié avec Arte, son film est désormais en accès libre.

Nous sommes dangereux à l’égard d’un système qui veut que rien ne change”

“Aaron était le meilleur d’entre nous. Il était adoubé par ses pairs, chéri par sa famille et avait assemblé les moyens de sa liberté – la création de REDDIT, 6e site au monde, l’a rendu millionnaire. Et même lui n’a pas tenu, regrette Flore Vasseur. À travers ce récit, je pense à celles et ceux qui doutent et s’interrogent sur l’effondrement que nous sommes en train de vivre et les inégalités, la corruption morale qui le sous-tend. Car c’est mon cas depuis le 11 Septembre. Ce doute, cette colère s’incarnent en plein d’endroits, les Gilets Jaunes mais aussi les artistes, les lanceurs d’alerte, les activistes qui se lèvent et agissent. Et cela ne date pas d’hier. Le “système” a passé son temps à nous diviser en faisant passer tous ces gens-là, nous au fond qui doutons, qui ne voulons pas nous conformer, obéir ou accepter, pour des ringards, des anarchistes, des complotistes. Si nous sommes dangereux, c’est uniquement à l’égard d’un système qui veut que rien ne change. Comme Aaron Swartz l’a été, dangereux, en son temps. Ce qu’il n’a pu comprendre, c’est que nous ne sommes pas seuls, que cela passe par nous mais que nous ne sommes pas tout. Il y a une force incroyable à tirer de l’humilité qui consiste à croire que chacun est un maillon dans la chaîne des changements à opérer. Snowden dit la même chose : il faut poser sa brique et accepter que cela ne soit que ça.” Terriblement aidée par le message d’Aaron Swartz, Flore Vasseur ne peut se résigner à voir mourir l’idéalisme du prodige de l’Internet libre.

* Le livre de Flore Vasseur sort aux éditions Équateurs le 9 janvier.

https://www.lelanceur.fr/aaron-swartz-lanceur-dalerte-sublime-par-les-mots-de-flore-vasseur/

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