Le meilleur compliment
qu'on puisse adresser à ce livre est qu'il est astucieux. Ce qui n'étonne pas
de la part d'un auteur que la longue fréquentation de la langue anglaise a
habitué à la formule ramassée qui fait mouche.
Par Daniel Vernet
Le meilleur compliment
qu'on puisse adresser à ce livre est qu'il est astucieux. Ce qui n'étonne pas
de la part d'un auteur que la longue fréquentation de la langue anglaise a
habitué à la formule ramassée qui fait mouche. Dominique Moïsi a d'ailleurs
écrit d'abord cette Géopolitique de l'émotion en anglais. Outre-Atlantique, la
sortie du livre a été quelque peu retardée pour tenir compte de l'issue de
l'élection présidentielle américaine.
Suivant un de ses maîtres
en sciences politiques, Pierre Hassner, qui s'est consacré au rôle des passions
dans les relations internationales, Dominique Moïsi s'est donc intéressé aux
émotions - qu'en fait il ne distingue pas toujours de ces mêmes passions -,
comme critère d'explication et plus encore de classement des grands pôles de
référence dans le monde contemporain. Les émotions comptent plus que jamais,
écrit-il, alors que les médias font office "de caisse de résonance et de
loupe grossissante" en les dévoilant en direct.
Espoir à Mumbaï,
humiliation à Ifrane, peur à Londres, écrit Dominique Moïsi, dans un raccourci
qui se développe ainsi : l'Asie est le continent de l'espoir ; l'islam, la
communauté de l'humiliation ; l'Occident, le lieu de la peur, Etats-Unis et
Europe confondus, bien que cette "émotion" s'exprime différemment des
deux côtés de l'Atlantique. L'intérêt du livre ne réside pas alors dans les
informations qu'il apporte et qui pour la plupart sont dans le domaine public -
à part quelques anecdotes personnelles -, mais dans l'agencement. Qu'on se
trouve dans les anciens "dragons" du Sud-Est asiatique, en Chine ou
en Inde, qui les ont rejoints sur la voie de la croissance, l'optimisme est de
rigueur (ou faudrait-il écrire "était" de rigueur avant la crise
économique mondiale ?)
En Asie, la seule exception
semble être le Japon. En terre d'islam, le sentiment d'un déclin historique est
aggravé par l'accumulation de frustrations, qu'elles soient provoquées par la
présence d'Israël, les effets perturbateurs de la mondialisation, ou
l'incertitude identitaire pour les musulmans d'Europe. En Occident aussi,
l'émotion a pris le pas sur le sens des valeurs et la croyance dans la prospérité
économique. L'Europe a peur, de l'immigration, de l'élargissement, de la
bureaucratie, du déclin démographique, etc. Les Etats-Unis s'interrogent -
s'interrogeaient ? - sous la plume de Dominique Moïsi : "Avons-nous perdu
notre âme, c'est-à-dire notre supériorité morale ? Notre but, c'est-à-dire le
sens de notre mission ? Notre rang, c'est-à-dire, sommes-nous sur le déclin
?"
Et puis il y a les
"inclassables". Israël, qui est passé de l'espoir à l'angoisse ;
l'Afrique, tentée par le désespoir, et l'Amérique latine, qui oscille entre le
populisme et le progrès. La Russie, qui combine les trois émotions. A propos de
celle-ci, l'auteur observe justement que les Russes méritent mieux que le
despotisme oriental remis au goût du jour par Vladimir Poutine.
Dominique Moïsi conclut sa
réflexion par deux scénarios à propos du monde en 2025. Le noir comme le rose,
le pessimiste comme l'optimiste s'ouvrent sur la situation au Proche-Orient,
laissant ainsi penser que la situation internationale au cours des deux prochaines
décennies dépend essentiellement de la manière dont le conflit
israélo-palestinien sera ou non résolu. C'est pourquoi ce livre sérieux se
termine sur une citation paradoxale d'humour et de confiance. Sur le point
d'être arrêté par les nazis, Tristan Bernard dit à sa femme : "Jusqu'à
présent nous avons vécu dans la crainte. Désormais nous allons vivre dans
l'espoir."
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/11/26/la-geopolitique-de-l-emotion-de-dominique-moisi_1123339_3260.html#qciJEX6wm7uYBXzA.99
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