viernes, 17 de agosto de 2018

RENTRÉE LITTÉRAIRE 2018: POURQUOI Y A-T-IL TANT DE PREMIERS ROMANS CETTE ANNÉE?


Attrait de la nouveauté? Argument marketing? Les réponses sont nombreuses...
Par Marine Chassagnon


GETTY

Rentrée littéraire 2018: Pourquoi y a-t-il tant de premiers romans cette année?

LITTÉRATURE - C'est l'événement de l'année pour les auteurs et les éditeurs. Ce jeudi 16 août sont publiés les premiers livres qui feront la rentrée littéraire de 2018. Dès ce jour et jusqu'au début du mois de novembre, 567 romans vont prendre place sur les étals des libraires.

Parmi ces centaines de publications, 94 proviennent de la plume de primo-romanciers. Depuis 2007, jamais un tel nombre n'avait été enregistré. Sur les 727 nouvelles œuvres parues cette année là, 102 premiers romans avaient été publiés.

Les années suivantes, le nombre de premiers romans -malgré quelques sursauts- n'a pas vu sa cote remonter aussi nettement. De 2013 à 2016 une baisse constante de ces premières parutions a été observée, mais depuis la dernière rentrée l'engouement semble revenu, comme en témoigne la période allant de 2016 à 2018, qui a vu son nombre de primo-romancier présentés entre août et novembre grimper de 42%.

À la lumière de ces observations, à retrouver dans l'infographie ci-dessous, Le HuffPost s'est interrogé sur l'intérêt porté à ces romans presque devenus un genre à part entière.
Succès, presse et marketing

L'intérêt remarquable porté aux premiers romans pour cette rentrée littéraire 2018 n'est pas anodin. Selon de nombreux spécialistes du secteur de l'édition, c'est dû à plusieurs facteurs.

"Ces dernières années, il y eu un bon nombre de premiers romans qui ont été des succès considérables comme La tresse de Laetitia Colombani, Petit Pays de Gaël Faye, Le grand marin de Catherine Poulain... Tout le monde a remarqué que plusieurs succès de primo-romanciers ont émergé à la rentrée", commente pour Le HuffPost l'éditrice Héloïse d'Ormesson.

En effet, publiés entre 2016 et 2017, ces trois premiers romans cités par l'éditrice ont connu un succès retentissant. "Je trouve que depuis deux ans les premiers romans sont bons et peuvent faire trembler des auteurs bien installés et coutumiers de ces rentrées", estime Nathalie Couderc, libraire à Caussade (Tarn-et-Garonne) et dénicheuse de premiers romans.


Pour d'autres, la réponse se trouve plutôt du côté de l'engouement de la presse pour ces nouveautés intrigantes. "Il y a un intérêt grandissant autour des premiers romans car ils reçoivent une attention particulière de la part des médias. Le premier roman me semble-t-il, est devenu un objet marketing, au point que certaines maisons d'édition utilisent des stratagèmes pour que des romans obtiennent le qualificatif de premier roman (publication sous pseudo, explication discutable sur un texte précédent, tentative de qualification d'un premier texte comme une autobiographie). Le présenter comme un premier roman est déjà en soi un argument de mise en avant", dévoile au HuffPost Charlotte Milandri créatrice du blog 68 premières fois, consacré aux premiers romans.

Un argument qu'Anne-Sophie Denou, organisatrice à Laval (Mayenne) d'un festival consacré au premiers romans "Lecture en tête", soutient en demi-teinte. "Au vu du nombre de parutions, il se peut que celui-ci soit devenu un objet de marketing, ça c'est aux éditeurs qui se trouvent en début de la chaîne du livre, de le confirmer ou de l'infirmer", nous répond-elle prudemment, tout en soulignant qu'il "y a un engouement 'premiers romans'". "Des primo-romanciers figurent parmi les sélections de grands prix littéraires, des articles de presse nationale (L'Humanité, Le Figaro, etc) mettent en avant chaque été les premiers romans de la rentrée littéraire, des événements littéraires mettent à l'honneur des primo-romanciers, etc.", rappelle la médiatrice du livre.
Pourtant, la manière dont sont mis en avant les romans sur les étals n'est pas spécialement attirante. C'est en tout cas ce qu'ont l'air de penser les lecteurs. 75% d'entre eux disent ne pas accorder d'importance à la mise en place des romans chez leur libraire, selon un sondage Yougov réalisé pour Le HuffPost entre le 3 et le 6 août (enquête réalisée sur 1022 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus). Malgré tout, 31% des personnes interrogées sont attirées par les premiers romans grâce aux critiques. Les médias ont donc une place non négligeable dans la découverte de ces talents.

D'après l'enquête réalisée, l'histoire reste avant tout la première porte d'entrée vers les premiers romans puisque 66% des interrogés se disent attirés d'abord par le synopsis. L'argument de la nouveauté séduit également 41% des sondés. Mais ces deux derniers facteurs sont loin d'être inédits.

"Un moment béni"

Au-delà de l'engouement particulièrement prononcé de cette année, il est important de noter que la rentrée littéraire a toujours été un terrain propice à l'éclosion des premiers romans, comme le rappelle au HuffPost Héloïse d'Ormesson. "Cela fait très longtemps que je présente un premier roman à chaque rentrée car je me suis rendue compte que l'on a un historique de succès que l'on ne retrouve pas à d'autres moments de l'année", analyse celle qui publiera le 23 août Pleurer des rivières le premier roman du réalisateur Alain Jaspard.
"Tous les espoirs sont permis, toutes les maisons d'édition sont à égalité, il n'y a pas d'a priori"

Héloïse d'Ormesson

Ce moment de l'agenda littéraire est aussi une compétition plus aisée pour les primo-romanciers qui n'ont pas à craindre l'arène, contrairement à leurs aînés pour qui ce coup de projecteur peut être à double tranchant. "Le jeune auteur ne se rend pas compte de ce que cela représente, de ce que veut dire un succès... Il n'a rien à perdre, c'est beaucoup plus facile et agréable car il n'y a pas vraiment de déception: si ça marche c'est magique, sinon ce n'est pas grave; tandis que pour un auteur qui a déjà publié c'est une décision concertée, il faut partir en tandem dans cette course. C'est un vrai choix car si on ne fait pas partie des 30 ou 50 livres qui sortent du lot, on est enterré. Il y a aussi des déceptions, certains livres démarrent très vite puis s'effondrent...", témoigne l'éditrice de Tatiana de Rosnay, qui voit la rentrée littéraire comme "une sorte de compétition olympique avec beaucoup d'obstacles à franchir".

Ce phénomène est également observé par la libraire Nathalie Couderc. "L'auteur n'a rien à perdre mais tout à gagner. Au milieu des auteurs confirmés il peut se détacher par son style, son écriture qui change de la routine. Il y a aussi une forme d'insouciance, de légèreté qui fait que la profondeur prend le dessus et fait la force du roman", souligne cette passionnée qui note de surcroît que "voir des noms revenir à chaque rentrée littéraire peut lasser".

Lorsqu'il s'agit de la rentrée littéraire, tous les signaux sont au vert pour ces primo-romanciers d'autant plus que "quand on est un auteur c'est agréable d'être publié à la rentrée littéraire, c'est une façon d'avoir son nom retenu", met en exergue Michèle Fitoussi, éditorialiste et jurée du Prix de Flore.

Et après ?

Son nom retenu certes, mais pour combien de temps? Si selon notre sondage Yougov, 84% des lecteurs qui ont aimé un premier roman suivent l'auteur de ce livre, la suite n'est pas si simple qu'il n'y paraît.

"Notre sélection, qui habituellement ne concerne que les premiers romans, intégrera en septembre des deuxièmes romans, qui sont une étape tout aussi importante dans la vie d'un auteur", nous informe Charlotte Milandri qui, en compagnie de 95 participants, sélectionnera les meilleures premières œuvres de la rentrée pour son blog 68 premières fois. Une initiative qui devrait séduire des lecteurs qu'il ne faut pas décevoir.

"Si le lecteur a été conquis par le premier roman d'un auteur, il a tendance à vouloir lire le suivant. Moi la première! Je le fais pour voir l'évolution. Et c'est surtout sur le deuxième roman que je suis le plus exigeante et que je fixe mon avis pour la suite", nous confie la libraire.

Bien que le premier roman soit "une carte de visite de l'auteur et de l'éditeur", comme le présente Michèle Fitoussi, l'essai est encore loin d'être transformé, fait remarquer l'éditrice Héloïse d'Ormesson. "C'est de plus en plus compliqué de construire un auteur. Souvent, le second livre est plus compliqué à présenter, il y a ensuite le troisième, le quatrième et tout finit par retomber un peu. Les journalistes ont fait des articles, des portraits... et passent à autre chose, ils veulent découvrir quelqu'un d'autre. Un auteur ne peut pas s'installer immédiatement, cela demande du temps. Deux, trois livres. Un best-seller ne garantit pas le succès d'un auteur. Combien de temps malgré ses précédents livres -et les suivants -, Tatiana de Rosnay est-elle restée l'auteure de Elle s'appelait Sarah?", interroge Héloïse d'Ormesson.

Pour éviter que les pimo-romanciers ne sombrent dans l'oubli après avoir connu un succès admirable, il semble que la solution se trouve avant même la publication de leur premier ouvrage. C'est en tout cas celle qu'a trouvée l'éditrice Sabine Wespieser qui publiera le premier roman du poète Conor O'Callaghan Rien d'autre sur terre le 13 septembre prochain. "J'ai eu l'occasion, grâce à la traductrice, Mona de Pracontal, de lire le premier roman de Conor O'Callaghan, et ai été immédiatement convaincue que cette nouvelle voix de la littérature irlandaise deviendrait un romancier d'importance. Quand je publie un premier roman, il m'importe toujours d'y pressentir le "profil d'une œuvre".

https://www.huffingtonpost.fr/2018/08/15/rentree-litteraire-2018-pourquoi-y-a-t-il-tant-de-premiers-romans-cette-annee_a_23500036/?utm_hp_ref=fr-homepage

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