Attrait de la nouveauté?
Argument marketing? Les réponses sont nombreuses...
Par Marine Chassagnon
GETTY
Rentrée littéraire 2018:
Pourquoi y a-t-il tant de premiers romans cette année?
LITTÉRATURE - C'est
l'événement de l'année pour les auteurs et les éditeurs. Ce jeudi 16 août sont
publiés les premiers livres qui feront la rentrée littéraire de 2018. Dès ce
jour et jusqu'au début du mois de novembre, 567 romans vont prendre place sur
les étals des libraires.
Parmi ces centaines de
publications, 94 proviennent de la plume de primo-romanciers. Depuis 2007,
jamais un tel nombre n'avait été enregistré. Sur les 727 nouvelles œuvres
parues cette année là, 102 premiers romans avaient été publiés.
Les années suivantes, le
nombre de premiers romans -malgré quelques sursauts- n'a pas vu sa cote
remonter aussi nettement. De 2013 à 2016 une baisse constante de ces premières
parutions a été observée, mais depuis la dernière rentrée l'engouement semble
revenu, comme en témoigne la période allant de 2016 à 2018, qui a vu son nombre
de primo-romancier présentés entre août et novembre grimper de 42%.
À la lumière de ces
observations, à retrouver dans l'infographie ci-dessous, Le HuffPost s'est
interrogé sur l'intérêt porté à ces romans presque devenus un genre à part
entière.
Succès, presse et marketing
L'intérêt remarquable porté
aux premiers romans pour cette rentrée littéraire 2018 n'est pas anodin. Selon
de nombreux spécialistes du secteur de l'édition, c'est dû à plusieurs
facteurs.
"Ces dernières années,
il y eu un bon nombre de premiers romans qui ont été des succès considérables
comme La tresse de Laetitia Colombani, Petit Pays de Gaël Faye, Le grand marin
de Catherine Poulain... Tout le monde a remarqué que plusieurs succès de
primo-romanciers ont émergé à la rentrée", commente pour Le HuffPost
l'éditrice Héloïse d'Ormesson.
En effet, publiés entre
2016 et 2017, ces trois premiers romans cités par l'éditrice ont connu un
succès retentissant. "Je trouve que depuis deux ans les premiers romans
sont bons et peuvent faire trembler des auteurs bien installés et coutumiers de
ces rentrées", estime Nathalie Couderc, libraire à Caussade
(Tarn-et-Garonne) et dénicheuse de premiers romans.
Pour d'autres, la réponse
se trouve plutôt du côté de l'engouement de la presse pour ces nouveautés
intrigantes. "Il y a un intérêt grandissant autour des premiers romans car
ils reçoivent une attention particulière de la part des médias. Le premier
roman me semble-t-il, est devenu un objet marketing, au point que certaines
maisons d'édition utilisent des stratagèmes pour que des romans obtiennent le
qualificatif de premier roman (publication sous pseudo, explication discutable sur
un texte précédent, tentative de qualification d'un premier texte comme une
autobiographie). Le présenter comme un premier roman est déjà en soi un
argument de mise en avant", dévoile au HuffPost Charlotte Milandri
créatrice du blog 68 premières fois, consacré aux premiers romans.
Un argument qu'Anne-Sophie
Denou, organisatrice à Laval (Mayenne) d'un festival consacré au premiers
romans "Lecture en tête", soutient en demi-teinte. "Au vu du
nombre de parutions, il se peut que celui-ci soit devenu un objet de marketing,
ça c'est aux éditeurs qui se trouvent en début de la chaîne du livre, de le
confirmer ou de l'infirmer", nous répond-elle prudemment, tout en
soulignant qu'il "y a un engouement 'premiers romans'". "Des
primo-romanciers figurent parmi les sélections de grands prix littéraires, des
articles de presse nationale (L'Humanité, Le Figaro, etc) mettent en avant
chaque été les premiers romans de la rentrée littéraire, des événements
littéraires mettent à l'honneur des primo-romanciers, etc.", rappelle la
médiatrice du livre.
Pourtant, la manière dont
sont mis en avant les romans sur les étals n'est pas spécialement attirante.
C'est en tout cas ce qu'ont l'air de penser les lecteurs. 75% d'entre eux
disent ne pas accorder d'importance à la mise en place des romans chez leur
libraire, selon un sondage Yougov réalisé pour Le HuffPost entre le 3 et le 6
août (enquête réalisée sur 1022 personnes représentatives de la population
nationale française âgée de 18 ans et plus). Malgré tout, 31% des personnes interrogées
sont attirées par les premiers romans grâce aux critiques. Les médias ont donc
une place non négligeable dans la découverte de ces talents.
D'après l'enquête réalisée,
l'histoire reste avant tout la première porte d'entrée vers les premiers romans
puisque 66% des interrogés se disent attirés d'abord par le synopsis.
L'argument de la nouveauté séduit également 41% des sondés. Mais ces deux
derniers facteurs sont loin d'être inédits.
"Un moment béni"
Au-delà de l'engouement
particulièrement prononcé de cette année, il est important de noter que la
rentrée littéraire a toujours été un terrain propice à l'éclosion des premiers
romans, comme le rappelle au HuffPost Héloïse d'Ormesson. "Cela fait très
longtemps que je présente un premier roman à chaque rentrée car je me suis
rendue compte que l'on a un historique de succès que l'on ne retrouve pas à
d'autres moments de l'année", analyse celle qui publiera le 23 août
Pleurer des rivières le premier roman du réalisateur Alain Jaspard.
"Tous les espoirs sont
permis, toutes les maisons d'édition sont à égalité, il n'y a pas d'a
priori"
Héloïse d'Ormesson
Ce moment de l'agenda
littéraire est aussi une compétition plus aisée pour les primo-romanciers qui
n'ont pas à craindre l'arène, contrairement à leurs aînés pour qui ce coup de
projecteur peut être à double tranchant. "Le jeune auteur ne se rend pas
compte de ce que cela représente, de ce que veut dire un succès... Il n'a rien
à perdre, c'est beaucoup plus facile et agréable car il n'y a pas vraiment de
déception: si ça marche c'est magique, sinon ce n'est pas grave; tandis que
pour un auteur qui a déjà publié c'est une décision concertée, il faut partir
en tandem dans cette course. C'est un vrai choix car si on ne fait pas partie
des 30 ou 50 livres qui sortent du lot, on est enterré. Il y a aussi des
déceptions, certains livres démarrent très vite puis s'effondrent...",
témoigne l'éditrice de Tatiana de Rosnay, qui voit la rentrée littéraire comme
"une sorte de compétition olympique avec beaucoup d'obstacles à
franchir".
Ce phénomène est également
observé par la libraire Nathalie Couderc. "L'auteur n'a rien à perdre mais
tout à gagner. Au milieu des auteurs confirmés il peut se détacher par son
style, son écriture qui change de la routine. Il y a aussi une forme
d'insouciance, de légèreté qui fait que la profondeur prend le dessus et fait
la force du roman", souligne cette passionnée qui note de surcroît que
"voir des noms revenir à chaque rentrée littéraire peut lasser".
Lorsqu'il s'agit de la
rentrée littéraire, tous les signaux sont au vert pour ces primo-romanciers
d'autant plus que "quand on est un auteur c'est agréable d'être publié à
la rentrée littéraire, c'est une façon d'avoir son nom retenu", met en exergue
Michèle Fitoussi, éditorialiste et jurée du Prix de Flore.
Et après ?
Son nom retenu certes, mais
pour combien de temps? Si selon notre sondage Yougov, 84% des lecteurs qui ont
aimé un premier roman suivent l'auteur de ce livre, la suite n'est pas si
simple qu'il n'y paraît.
"Notre sélection, qui
habituellement ne concerne que les premiers romans, intégrera en septembre des
deuxièmes romans, qui sont une étape tout aussi importante dans la vie d'un
auteur", nous informe Charlotte Milandri qui, en compagnie de 95
participants, sélectionnera les meilleures premières œuvres de la rentrée pour
son blog 68 premières fois. Une initiative qui devrait séduire des lecteurs
qu'il ne faut pas décevoir.
"Si le lecteur a été
conquis par le premier roman d'un auteur, il a tendance à vouloir lire le
suivant. Moi la première! Je le fais pour voir l'évolution. Et c'est surtout
sur le deuxième roman que je suis le plus exigeante et que je fixe mon avis
pour la suite", nous confie la libraire.
Bien que le premier roman
soit "une carte de visite de l'auteur et de l'éditeur", comme le
présente Michèle Fitoussi, l'essai est encore loin d'être transformé, fait
remarquer l'éditrice Héloïse d'Ormesson. "C'est de plus en plus compliqué
de construire un auteur. Souvent, le second livre est plus compliqué à
présenter, il y a ensuite le troisième, le quatrième et tout finit par retomber
un peu. Les journalistes ont fait des articles, des portraits... et passent à
autre chose, ils veulent découvrir quelqu'un d'autre. Un auteur ne peut pas
s'installer immédiatement, cela demande du temps. Deux, trois livres. Un
best-seller ne garantit pas le succès d'un auteur. Combien de temps malgré ses
précédents livres -et les suivants -, Tatiana de Rosnay est-elle restée
l'auteure de Elle s'appelait Sarah?", interroge Héloïse d'Ormesson.
Pour éviter que les
pimo-romanciers ne sombrent dans l'oubli après avoir connu un succès admirable,
il semble que la solution se trouve avant même la publication de leur premier
ouvrage. C'est en tout cas celle qu'a trouvée l'éditrice Sabine Wespieser qui
publiera le premier roman du poète Conor O'Callaghan Rien d'autre sur terre le
13 septembre prochain. "J'ai eu l'occasion, grâce à la traductrice, Mona
de Pracontal, de lire le premier roman de Conor O'Callaghan, et ai été
immédiatement convaincue que cette nouvelle voix de la littérature irlandaise
deviendrait un romancier d'importance. Quand je publie un premier roman, il
m'importe toujours d'y pressentir le "profil d'une œuvre".
https://www.huffingtonpost.fr/2018/08/15/rentree-litteraire-2018-pourquoi-y-a-t-il-tant-de-premiers-romans-cette-annee_a_23500036/?utm_hp_ref=fr-homepage
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