Par Julien Bordier,
La Fondation Carmignac
ouvre ce 2 juin son espace d'exposition sur l'île de Porquerolles. Visite pieds
nus en avant-première.
Après l'inauguration de
Lafayette Anticipations dans un édifice dessiné au coeur du Marais par
l'architecte Rem Koolhaas, et en attendant l'arrivée en 2019 de la Collection
François Pinault dans la capitale, au sein d'une Bourse de Commerce
reconfigurée par Tadao Ando, une autre fondation d'entreprise (privée dans le
cas de l'entrepreneur breton) consacrée à l'art contemporain inaugure son
espace d'exposition, cette fois loin de Paris. La Fondation Carmignac, créée en
2000 par Edouard Carmignac, qui a fait fortune dans la gestion d'actifs, ouvre
ses portes ce 2 juin sur l'île de Porquerolles.
A bien des égards, la
Fondation Carmignac est un lieu à part. D'abord, parce qu'il faut prendre le
bateau sur le port de Hyères, débarquer sur l'île méditerranéenne, puis marcher
une dizaine de minutes pour atteindre le Domaine de la Courtade que le
gestionnaire a acquis en 2013 et décidé de transformer pour présenter une
partie de sa collection personnelle. Au seuil de l'entrée, il faut encore
défier le gardien de la tranquillité de la maison, L'Alycastre. Le dragon
légendaire de ce confetti de terre verdoyant a inspiré à l'artiste majorquin
Miquel Barcelo une monumentale et terrifiante sculpture en bronze patiné.
Après la géographie,
l'architecture. Là, non plus rien de banal. La villa, construite dans les
années 1980 par le propriétaire de l'époque, l'architecte Henri Vidal, est un
vaste et sobre mas provençal bâti sur une ancienne ferme aperçue notamment dans
le film Pierrot le Fou de Godard. C'est ici que Jean Rochefort a célébré son
mariage en 1989 avec Françoise Vidal, la fille d'Henri. Parmi les invités, un
certain Edouard Carmignac, qui tombe amoureux du site. On le comprend. Mais si
le cadre est sublime, la propriété n'est pas vraiment adaptée à l'accueil d'oeuvres
d'arts de grand format et à un flux de visiteurs.
Comment agrandir une
habitation dont il est impossible d'étendre l'emprise au sol, parc national
classé oblige ? Seule solution : creuser. Le bâtiment, descendu de 7 mètres par
rapport à son ancien plancher, dissimule 2000 m2 d'espace d'exposition en
sous-sol. Les salles, presque invisibles de l'extérieur, sont éclairées en
partie par un puits de lumière naturelle. Les rayons du soleil sont filtrés par
un plafond en verre pesant 19 tonnes. Recouvert d'eau, il ressemble à la la
paroi d'un aquarium géant qui aurait été posée à l'horizontale. Les ondulations
aquatiques procurent quelques mètres en dessous l'agréable impression de
déambuler dans les fonds marins. Un sentiment renforcé par le fait que les visiteurs
circulent pieds nus sur de larges et fraîches dalles de gré. Surprenant.
Avant de déambuler dans la
Fondation Carmignac, il faut en effet se déchausser puis boire un breuvage à
base de plantes médicinales. Précision : la visite se fait au rythme de 50
personnes par demi-heure. "Nous souhaitons que les gens s'extraient le
plus possible du monde virtuel, reprennent contact avec eux-mêmes et quittent
leurs carapaces pédestres", souligne un brin mystique Edouard Carmignac,
installé pieds nus sur une terrasse. Son fils, Charles, qui a pris la direction
de la Fondation en janvier 2017 - il est par ailleurs membre du groupe de
musique blues-folk Moriarty - joue les maîtres de cérémonie auprès des premiers
explorateurs, tout en donnant à quelques jours de l'inauguration des directives
aux ouvriers qui s'activent encore sur le chantier.
L'exposition temporaire
inaugurale, Sea of Desire, intitulé inspiré d'une grande toile d'Ed Ruscha
reproduite à l'échelle d'un panneau d'affichage sur le terrain de tennis
adjacent, présente 70 pièces d'une collection qui en compte 300. Le
commissaire, Dieter Buchhart, les a ordonné au sein d'un parcours en huit
chapitres, allant de "Pop Icons reloaded" à "Brave New World
revisited", en passant par "Héritage et Transgression",
"Abstraction et disruption", "Révolution, terreur et
effondrement"...
L'accrochage des toiles et
photographies d'Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Sandro Boticelli, Gerard
Richter, Richard Prince, David LaChapelle, Martial Raysse, Maurizio Cattelan,
Alexandre Calder, Yves Klein, Josef Koudelka, et bien d'autres, tisse des fils
conducteurs imaginés consciemment ou non par le collectionneur. "Certains
correspondances sont d'ordre baudelairiennes d'autres sont préméditées, résume le
septuagénaire. J'ai toujours vu une relation entre Botticelli et Lichtenstein.
Le premier a défini l'archétype de la beauté occidentale à la Renaissance. Roy
Lichtenstein, lui, a renouvelé le concept de la beauté contemporaine avec une
nouvelle écriture composée de points et de lignes, inspirée par la bande
dessinée. Pour moi, il est le plus grand peintre de la fin du XXe siècle."
L'artiste Pop Art a droit à un traitement de faveur. Il est le plus présent
dans cette "mer de désir", avec huit tableaux, dont le prêt extérieur
d'une toile monumentale de 3 m par 6 m : Beach scene from Starfish.
Les salles souterraines,
organisées en croix, offrent un cadre majestueux. Au rez-de-chaussée, en
revanche, la configuration des lieux ne propose pas assez de recul. Quelques
oeuvres ont, elles, la chance de disposer de leur propre salle. C'est le cas
notamment de deux créations pérennes, une fontaine de poissons en apesanteur de
Bruce Nauman et une toile panoramique de 16 mètres de long de Miquel Barcelo,
créée spécialement pour la Fondation et représentant d'étranges céphalopodes
que le peintre a croisé dans les eaux méditerranéennes. On l'a compris, tout
ici tourne autour du milieu aquatique. Après tout, nous sommes sur une île.
Quand il évoque ses acquisitions, Edouard Carmignac parle d'ailleurs de
"ses écailles". "Les créature marines sont à l'origine du
monde", philosophe le collectionneur. …………..
https://www.lexpress.fr/culture/art/fondation-carmignac-un-lieu-d-art-a-part_2013568.html
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