domingo, 21 de octubre de 2018

HENRI DE ROTHSCHILD, "LE PREMIER HUMANITAIRE DE LA PLANÈTE"

Par Fanny del Volta

Il appartenait à la cinquième génération d’une célèbre famille de banquiers, mais a décidé de devenir médecin. Curieux, passionné, épris de modernité, Henri de Rothschild a mis sa vie et sa fortune au service de grandes causes. Un touche-à-tout engagé et fantasque que son arrière-petite-fille, Nadège Forestier, révèle dans son ouvrage, Un humanitaire avant l’heure*.
Né à Paris, en 1872, Henri de Rothschild est élevé dans le respect de la devise familiale: Concordia, integritas, industria (Union, honnêteté, travail). À 26 ans, il devient médecin, se lance dans la stérilisation du lait, puis la création de l’hôpital Marcadet. Quand il croise le chemin de Marie Curie, il finance les travaux qui lui permettront de développer la radiumthérapie pour lutter contre le cancer. Pendant la Grande Guerre, il fait produire de l’ambrine en quantité afin de soigner les blessés.
Philanthrope et curieux. Se découvre-t-il une passion pour les courses automobiles? Il s’associe à la création de la marque de voitures Unic. S’intéresse-t-il à la navigation? Il fait construire Éros, son propre yacht. Les avancées technologiques, les nouveautés commerciales, l’écriture, rien ne l’indiffère.


À 22 ans, il se lance dans l’aventure automobile, participe à diverses courses, achète une Panhard et crée Unic, qui produit des 4-cylindres. ullstein bild/ullstein bild via Getty Images

Il sauve les produits Monsavon avant de les revendre à Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal. Il invente la mise en bouteille
des jus de fruits, le chocolat en poudre Elesca –pour lequel son ami Sacha Guitry imagine le slogan "LSK CSKI"–, crée les parfums Isabey, ou fonde le théâtre Pigalle… Sous divers pseudonymes, André Pascal, Charles des Fontaines, il publie des dizaines de pièces de boulevard à succès.
Dans les jardins du Cercle de l’Union Interalliée, l’une de ses demeures parisiennes, son arrière-petite-fille la journaliste Nadège Forestier évoque la biographie qu’elle vient de faire paraître. Celle d’un Rothschild pas comme les autres, qui aimait à rappeler: "Altruisme et charité doivent être la rançon de tout homme que la fortune a favorisé."
Pourquoi Henri de Rothschild est-il devenu médecin quand tous les hommes de sa famille entraient dans la banque?
Il était atypique. Orphelin de père, il a été élevé par une mère très austère, Thérèse. Cette femme a été marquée par la longue maladie de l’une de ses soeurs, morte à 20 ans. Elle ne pensait qu’à soigner les autres et faire le bien. Sa vie était régie par ce sens du devoir, transmis à son fils Henri.


Médecin de formation, Henri de Rothschild fonde l’hôpital Marcadet, en 1903. Les premiers patients sont surtout des enfants. ullstein bild/ullstein bild via Getty Images

Charlotte, épousede Nathanaël de Rothschild et grand-mère d’Henri, a également beaucoup compté pour lui…
Elle lui a insufflé de la légèreté. Elle était la fille de James de Rothschild, le fondateur de la branche française. Chopin, dont elle a été l’élève, a composé des valses pour elle. Elle s’est aussi intéressée à la peinture, vendait même ses propres aquarelles. La mère d’Henri n’appréciait pas toujours son influence. La baronne Nathanaël était chaleureuse et ouverte. Elle a pris sous son aile l’épouse d’Henri, Mathilde de Weisweiller. Et plus tard, c’est Mathilde qui se chargera de faire voir à son époux, accaparé par ses travaux en médecine, la vie autrement.
Quel genre de travaux?
Il comprend très tôt que les risques de mortalité infantile étaient plus importants chez les enfants qui n’étaient pas nourris au sein. Il installe une ferme laitière chez sa mère, à Chantilly, pour étudier la stérilisation. Ses conclusions permettent d’offrir du lait de meilleure qualité aux nourrissons. Et la mortalité infantile chute de façon considérable.
Comment en vient-il à financer Marie Curie?
L’un de ses mentors, le professeur Fournier, lui conseille de s’intéresser au radium, découvert en 1898. Il est utilisé dans la lutte contre certains cancers. En 1910, quand Henri réalise que les travaux de cette chercheuse d’origine polonaise sont prometteurs, il achète une usine à Saint-Denis pour extraire du radium. Il en fournit un gramme à Marie Curie, un don équivalent à un million d’euros aujourd’hui. Puis avec d’autres mécènes, il finance la création de la fondation Curie.
Pendant la Première Guerre mondiale, il vient en aide aux blessés…
Il est l’un des meilleurs fusils de France, mais l’armée ne veut pas de lui à cause de son embonpoint! Il participe malgré tout à cette guerre avec la complicité de sa femme. Mathilde crée un centre hospitalier, puis va chercher les blessés sur le champ de bataille. Elle convainc Henri de s’intéresser à l’ambrine, une pommade miraculeuse qui soigne les brûlures. Grâce à lui, le remède est produit en quantité.
Généreux pour la science, il hésitait pourtant à s’offrir une tapisserie ou de belles pièces de joaillerie. Pourquoi?
Peut-être était-il plus important d’aider que de se faire plaisir. Ceci dit, en créant le théâtre Pigalle, il s’est fait plaisir. Il voulait la scène la plus moderne qui soit. Il s’est intéressé aux nouveaux mécanismes, a fait venir des éclairages sophistiqués, des plateaux qui pouvaient tourner entre deux scènes. Tout cela n’existait pas avant. Il a dépensé sans compter.


Le théâtre Pigalle voit le jour à la fin des années 1920, avec 123 représentations d’Histoire de France, de Sacha Guitry. ullstein bild/ullstein bild via Getty Images

Avez-vous lu ses pièces de boulevard?
Certaines, La Rampe, notamment. À ma grande surprise, elles m’ont semblé presque contemporaines. L’écriture est vive, les dialogues pertinents. Je comprends qu’elles aient eu du succès. Le directeur du Temps, qui était un ami d’Henri, lui avait conseillé de s’inspirer des milieux qu’il connaissait, à savoir la médecine et les gens du monde. C’est ce qu’il a fait.
L’excentricité est une marque de fabrique des Rothschild?
Dans la branche anglaise, très certainement. Charles collectionnait bien les puces! Chez les Français, Arthur, l’oncle d’Henri, était piqué de cravates. Il en avait deux ou trois mille. Quant à Henri, s’il était excentrique, il mettait surtout cela au service de vraies causes. Il est sorti de la voie familiale pour devenir le premier humanitaire de la planète.
Comment grandit-on avec un tel héritage familial?
Enfant, je savais que ma grand-mère, Nadine, était née Rothschild, mais je ne connaissais pas vraiment l’histoire de la famille. J’ai beaucoup découvert en me plongeant dans les mémoires d’Henri. Je n’avais que 2 ans quand il est mort, mais ma mère m’a beaucoup parlé de lui. Elle me racontait qu’enfant elle aimait se rendre au Pam-Pam Bar, sur les Champs-Élysées. Cet établissement appartenait à Henri. Il était derrière la caisse, vendait des jus de fruits Verger, des tartes au citron et du gâteau au chocolat faits par son cuisinier. Cela l’amusait. En revanche, il appelait ses petitsenfants Monsieur et Mademoiselle parce qu’il ne connaissait pas leurs prénoms!
Pourquoi parle-t-on si peu d’Henri aujourd’hui, alors qu’on lui doit beaucoup?
Dans tous les domaines, il existe des personnages fantastiques que l’on oublie. Peut-être ce livre intéressera-t-il les jeunes générations. Après tout, Henri était porté par des idéaux très actuels.
*Henri de Rothschild, un humanitaire avant l’heure, par Nadège Forestier, Cherche Midi, 240 p., 20 euros.

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