Par Fanny del Volta
Il appartenait à la
cinquième génération d’une célèbre famille de banquiers, mais a décidé de
devenir médecin. Curieux, passionné, épris de modernité, Henri de Rothschild a
mis sa vie et sa fortune au service de grandes causes. Un touche-à-tout engagé
et fantasque que son arrière-petite-fille, Nadège Forestier, révèle dans son
ouvrage, Un humanitaire avant l’heure*.
Né à Paris, en 1872, Henri
de Rothschild est élevé dans le respect de la devise familiale: Concordia,
integritas, industria (Union, honnêteté, travail). À 26 ans, il devient
médecin, se lance dans la stérilisation du lait, puis la création de l’hôpital
Marcadet. Quand il croise le chemin de Marie Curie, il finance les travaux qui
lui permettront de développer la radiumthérapie pour lutter contre le cancer.
Pendant la Grande Guerre, il fait produire de l’ambrine en quantité afin de
soigner les blessés.
Philanthrope et curieux. Se
découvre-t-il une passion pour les courses automobiles? Il s’associe à la
création de la marque de voitures Unic. S’intéresse-t-il à la navigation? Il
fait construire Éros, son propre yacht. Les avancées technologiques, les
nouveautés commerciales, l’écriture, rien ne l’indiffère.
À 22 ans, il se lance dans
l’aventure automobile, participe à diverses courses, achète une Panhard et crée
Unic, qui produit des 4-cylindres. ullstein bild/ullstein bild via Getty Images
Il sauve les produits
Monsavon avant de les revendre à Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal. Il invente
la mise en bouteille
des jus de fruits, le
chocolat en poudre Elesca –pour lequel son ami Sacha Guitry imagine le slogan
"LSK CSKI"–, crée les parfums Isabey, ou fonde le théâtre Pigalle…
Sous divers pseudonymes, André Pascal, Charles des Fontaines, il publie des
dizaines de pièces de boulevard à succès.
Dans les jardins du Cercle
de l’Union Interalliée, l’une de ses demeures parisiennes, son
arrière-petite-fille la journaliste Nadège Forestier évoque la biographie
qu’elle vient de faire paraître. Celle d’un Rothschild pas comme les autres,
qui aimait à rappeler: "Altruisme et charité doivent être la rançon de
tout homme que la fortune a favorisé."
Pourquoi Henri de
Rothschild est-il devenu médecin quand tous les hommes de sa famille entraient
dans la banque?
Il était atypique. Orphelin
de père, il a été élevé par une mère très austère, Thérèse. Cette femme a été
marquée par la longue maladie de l’une de ses soeurs, morte à 20 ans. Elle ne
pensait qu’à soigner les autres et faire le bien. Sa vie était régie par ce
sens du devoir, transmis à son fils Henri.
Médecin de formation, Henri
de Rothschild fonde l’hôpital Marcadet, en 1903. Les premiers patients sont
surtout des enfants. ullstein bild/ullstein bild via Getty Images
Charlotte, épousede Nathanaël
de Rothschild et grand-mère d’Henri, a également beaucoup compté pour lui…
Elle lui a insufflé de la
légèreté. Elle était la fille de James de Rothschild, le fondateur de la
branche française. Chopin, dont elle a été l’élève, a composé des valses pour
elle. Elle s’est aussi intéressée à la peinture, vendait même ses propres
aquarelles. La mère d’Henri n’appréciait pas toujours son influence. La baronne
Nathanaël était chaleureuse et ouverte. Elle a pris sous son aile l’épouse
d’Henri, Mathilde de Weisweiller. Et plus tard, c’est Mathilde qui se chargera
de faire voir à son époux, accaparé par ses travaux en médecine, la vie
autrement.
Quel genre de travaux?
Il comprend très tôt que
les risques de mortalité infantile étaient plus importants chez les enfants qui
n’étaient pas nourris au sein. Il installe une ferme laitière chez sa mère, à
Chantilly, pour étudier la stérilisation. Ses conclusions permettent d’offrir
du lait de meilleure qualité aux nourrissons. Et la mortalité infantile chute
de façon considérable.
Comment en vient-il à
financer Marie Curie?
L’un de ses mentors, le
professeur Fournier, lui conseille de s’intéresser au radium, découvert en
1898. Il est utilisé dans la lutte contre certains cancers. En 1910, quand
Henri réalise que les travaux de cette chercheuse d’origine polonaise sont
prometteurs, il achète une usine à Saint-Denis pour extraire du radium. Il en
fournit un gramme à Marie Curie, un don équivalent à un million d’euros
aujourd’hui. Puis avec d’autres mécènes, il finance la création de la fondation
Curie.
Pendant la Première Guerre
mondiale, il vient en aide aux blessés…
Il est l’un des meilleurs
fusils de France, mais l’armée ne veut pas de lui à cause de son embonpoint! Il
participe malgré tout à cette guerre avec la complicité de sa femme. Mathilde
crée un centre hospitalier, puis va chercher les blessés sur le champ de
bataille. Elle convainc Henri de s’intéresser à l’ambrine, une pommade
miraculeuse qui soigne les brûlures. Grâce à lui, le remède est produit en
quantité.
Généreux pour la science,
il hésitait pourtant à s’offrir une tapisserie ou de belles pièces de joaillerie.
Pourquoi?
Peut-être était-il plus
important d’aider que de se faire plaisir. Ceci dit, en créant le théâtre
Pigalle, il s’est fait plaisir. Il voulait la scène la plus moderne qui soit.
Il s’est intéressé aux nouveaux mécanismes, a fait venir des éclairages
sophistiqués, des plateaux qui pouvaient tourner entre deux scènes. Tout cela
n’existait pas avant. Il a dépensé sans compter.
Le théâtre Pigalle voit le
jour à la fin des années 1920, avec 123 représentations d’Histoire de France,
de Sacha Guitry. ullstein bild/ullstein bild via Getty Images
Avez-vous lu ses pièces de
boulevard?
Certaines, La Rampe,
notamment. À ma grande surprise, elles m’ont semblé presque contemporaines.
L’écriture est vive, les dialogues pertinents. Je comprends qu’elles aient eu
du succès. Le directeur du Temps, qui était un ami d’Henri, lui avait conseillé
de s’inspirer des milieux qu’il connaissait, à savoir la médecine et les gens du
monde. C’est ce qu’il a fait.
L’excentricité est une marque
de fabrique des Rothschild?
Dans la branche anglaise,
très certainement. Charles collectionnait bien les puces! Chez les Français,
Arthur, l’oncle d’Henri, était piqué de cravates. Il en avait deux ou trois
mille. Quant à Henri, s’il était excentrique, il mettait surtout cela au
service de vraies causes. Il est sorti de la voie familiale pour devenir le
premier humanitaire de la planète.
Comment grandit-on avec un
tel héritage familial?
Enfant, je savais que ma
grand-mère, Nadine, était née Rothschild, mais je ne connaissais pas vraiment
l’histoire de la famille. J’ai beaucoup découvert en me plongeant dans les
mémoires d’Henri. Je n’avais que 2 ans quand il est mort, mais ma mère m’a beaucoup
parlé de lui. Elle me racontait qu’enfant elle aimait se rendre au Pam-Pam Bar,
sur les Champs-Élysées. Cet établissement appartenait à Henri. Il était
derrière la caisse, vendait des jus de fruits Verger, des tartes au citron et
du gâteau au chocolat faits par son cuisinier. Cela l’amusait. En revanche, il
appelait ses petitsenfants Monsieur et Mademoiselle parce qu’il ne connaissait
pas leurs prénoms!
Pourquoi parle-t-on si peu
d’Henri aujourd’hui, alors qu’on lui doit beaucoup?
Dans tous les domaines, il
existe des personnages fantastiques que l’on oublie. Peut-être ce livre
intéressera-t-il les jeunes générations. Après tout, Henri était porté par des
idéaux très actuels.
*Henri de Rothschild, un
humanitaire avant l’heure, par Nadège Forestier, Cherche Midi, 240 p., 20 euros.
http://www.pointdevue.fr/culture/henri-de-rothschild-le-premier-humanitaire-de-la_7297.html?xtor=EPR-1-[]-[20181019]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20181019
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