sábado, 13 de octubre de 2018

JEAN SANS TERRE, FAUT-IL RÉHABILITER CE ROI MAL-AIMÉ?


Une nouvelle et savante biographie* de Frédérique Lachaud, aux éditions Perrin, revient sur l’histoire de ce très impopulaire roi d’Angleterre. Jean sans Terre était-il vraiment un prince lâche et cruel, ou seulement malheureux dans ses entreprises?
Les chroniques –souvent françaises– du Moyen Âge en font un traître à son frère "le vaillant" Richard Coeur de Lion, comme l’assassin de son neveu "l’innocent" Arthur de Bretagne. Pour les siècles à venir, dans l’imagerie populaire, le roi Jean va incarner le plus lamentables des souverains anglais, le "tyran Plantagenêt".
Une mauvaise réputation qu’accrédite, dans une étude datée de 1873, l’évêque anglican et historien William Stubbs: "Dans la prospérité, il n’y a rien chez lui qu’on puisse admirer, dans l’adversité rien que l’on puisse prendre en pitié […] Jean n’avait ni grâce ni splendeur ni patriotisme."


L'image du roi Jean sans Terre souffre toujours de la comparaison avec Richard Coeur de Lion, auréolé du prestige de la croisade. Universal History Archive/UIG via Getty Image

Un avis partagé par les auteurs du XIXe siècle, comme le précise Frédérique Lachaud: "À certains égards, cette construction est le fruit de l’époque romantique, à commencer par le roman de Walter Scott, Ivanhoé, dont l’action est située durant l’absence de Richard."
Plus près de nous, même les studios Disney poussent le trait en présentant Richard sous l’aspect anthropomorphe d’un lion aussi royal que fort, quand Jean n’est qu’un lionceau chétif et pleutre.
Dès l'enfance, il hérite du surnom négatif de Jean sans Terre qui lui colle à la peau
Né, probablement à la Tour de Londres, entre les 24 et 27 décembre 1166, Jean est le dernier enfant de Henri Plantagenêt, comte d’Anjou, du Maine, duc de Normandie et roi d’Angleterre, et d’Aliénor, comtesse de Poitiers et duchesse d’Aquitaine. Ses trois frères aînés sont destinés à recevoir les couronnes paternelles pour Henri le Jeune, maternelles pour Richard, et de celle de Bretagne (par mariage) pour Geoffroi.
Jean, qui n’a que 3 ans à l’époque des négociations de partage, en 1170 à Montmirail, est déclaré sine terra par son père. Il devient Jean sans Terre, surnom négatif qui lui colle à la peau, et sans doute un premier traumatisme.


Le gisant de Henri II, roi d'Angleterre de 1154 à 1189, à l'abbaye de Fontevraud. C'est ici que Jean a passé son enfance. Godong/Universal Images/Getty Images

Sa mère la reine Aliénor, qui réside habituellement sur le continent en son palais de Poitiers, confie Jean et sa soeur Jeanne, d’un an son aînée et future reine de Sicile, à l’abbaye de Fontevraud. La cour de l’Échiquier, ministère des Finances au Royaume-Uni, conserve le détail des dépenses relatives à leur entretien.
Henri II imagine faire de son fils Jean un "roi d’Irlande". Il obtient du pape Alexandre III, en 1172, une reconnaissance de souveraineté sur les "barbares" insulaires. Mais l’expédition militaire dont le jeune prince prend finalement la tête, en 1185, près de quatre après la mort du pontife, se solde par un échec.

Jean trahi son frère Richard Coeur de Lion quand il apprend qu'il n'a pas été désigné comme son héritié
Jean, maintenant âgé de 19 ans, pâtit déjà d’une mauvaise réputation. D’une taille "un peu au-dessous de la moyenne", écrit Giraud de Barry, il serait "plus adonné à la mollesse qu’à la prouesse, plus à la jouissance qu’à l’endurance, plus à l’amour qu’à la bravoure".
Quand Henri II s’éteint, le 6 juillet 1189, ses fils Henri le Jeune et Geoffroi de Bretagne sont déjà morts. Jean devient avec son neveu Arthur de Bretagne, un enfant de 2 ans, l’un des héritiers de Richard Coeur de Lion. La succession anglaise n’obéit pas encore à des règles fixes et d’autres neveux de Jean –nés de ses soeurs aînées Mathilde, la duchesse de Saxe, et Aliénor, la reine de Castille– peuvent aussi faire valoir des droits.
Le départ de Richard pour la 3e croisade, quelques mois seulement après son avènement, propulse Jean sur le devant de la scène. Le nouveau roi établit un conseil de régence, et pour s’assurer la fidélité de son cadet il le dote de vastes terres et revenus tant en Normandie qu’en Angleterre. Il permet aussi son mariage avec Isabella, héritière du puissant comté de Gloucester.
Le prince Jean à genoux devant son frère Richard Coeur de Lion tandis que leur mère, reine Aliénor, plaide en faveur de Jean. The Print Collector/Print Collector/Getty Images
Jean, s’il prend la tête des barons révoltés contre Guillaume de Longchamp, le chancelier nommé par son frère, n’a pas encore trahi. Mais il franchit le pas à l’automne 1190, quand il apprend par le traité de Messine, signé avec le roi Tancrède de Sicile, que Richard a explicitement désigné Arthur de Bretagne comme son héritier, "s’il devait mourir sans laisser d’enfants".
Jean entre alors en négociation avec Philippe Auguste, le roi de France, pour s’assurer la possession des fiefs français. Et quand il apprend que son frère, de retour de Terre sainte, a été fait prisonnier par Léopold d’Autriche, il tente de s’emparer du trône. La trahison est consommée. Pour preuve, quand Philippe Auguste apprend la libération de Richard, à l’été 1193, il écrit à Jean de prendre garde car "le diable est lâché!"
C’est à cette époque, écrit Frédérique Lachaud, que l’imagerie populaire fixe "ses démêlés fictionnels avec le mythique Robin des Bois et sa joyeuse bande". Le roi libéré après le paiement d’une rançon colossale, en mai 1194, le prince Jean n’échappe au châtiment que grâce à l’intervention de leur mère, la reine Aliénor.
Devenu roi d’Angleterre et de "l’empire Plantagenêt", Jean craint son neveu et rival Arthur
Son image souffre de la comparaison avec Richard auréolé du prestige de la croisade. Elle se dégradera encore après la mort du Coeur de Lion, en avril 1199. Quand s’ouvre la succession, le droit coutumier comme les volontés du défunt favorisent Arthur, fils du défunt Geoffroi.
Dans leur ensemble, les barons français sont tous favorables au jeune duc de Bretagne. Mais il n’a que 12 ans et la reine Aliénor fait pencher la balance en faveur de Jean. Désormais roi d’Angleterre et de "l’empire Plantagenêt", Jean craint son neveu et rival. À raison.


L'assassinat du duc de Bretagne. Popperfoto/Getty Images
En 1202, encouragé par le roi de France, Arthur, maintenant âgé de 15 ans, se lance à la reconquête de son héritage. Hélas pour lui, il est fait prisonnier par les hommes de son oncle lors du siège de Mirebeau. Emprisonné au château de Falaise, puis probablement à la tour de Rouen, il disparaît mystérieusement au printemps suivant.
Selon certains chroniqueurs, le corps de l’infortuné duc de Bretagne aurait été retrouvé flottant dans la Seine. Presque tous s’entendent sur la culpabilité du roi Jean qui, "contraire à la nature, détestant toujours sa chair et son sang, tua de sa propre main son neveu Arthur, auquel le royaume revenait par primogéniture –comme il était le fils de son frère Geoffroi né avant lui–, et tint en prison Aliénor, la soeur dudit Arthur, une vierge, sa nièce, pendant presque vingt ans".
Son mariage avec Isabelle d’Angoulême s'apparente à une faute politique
Jean, divorcé avec l’accord du pape de sa première épouse Isabella de Gloucester, dont il a conservé le comté, épouse Isabelle d’Angoulême enlevée avant ses noces à Hugues de Lusignan. Philippe Auguste va se saisir de ce prétexte de l’honneur d’un vassal bafoué pour attaquer.
Le 24 juin 1204, le roi de France entre dans Rouen. Jean abandonne la Normandie. L’Anjou, le Maine et tout le nord du Poitou suivront… Dans son royaume insulaire, il n’est pas beaucoup plus heureux. Il est excommunié et le royaume est frappé d’interdit après une querelle avec le pape, à propos d’une nomination d’évêque.
Dans Robin des Bois, de Ridley Scott, Jean (Oscar Isaac) enlève Isabelle d’Angoulême (Léa Seydoux). ©David Appleby/ Universal studios.
Une révolte s’ensuit, évoquée dans la chronique de Guillaume le Breton: "Les comtes, les riches et le peuple presque tout entier se soulevèrent contre le roi, à cause de coutumes serviles, d’exactions et de prélèvements insupportables dont souffraient les Anglais." Ses barons le contraignent, en 1215, à signer une grande charte des droits: la Magna Carta.
Malgré son impopularité, le bilan de son règne n'est pas que calamiteux
Au "moral", le portrait du roi ne semble pas plus édifiant qu’au politique: "Jean dépouille les églises, enlève les biens du clergé, bannit des terres de leurs aïeux tous les habitants de la campagne et les citoyens, et, tout couvert de crimes, le misérable se précipite encore dans des crimes nouveaux, il se livre à tous les désirs de la bouche, et souille son corps des taches de la débauche." Il aime le faste et la parure: soieries byzantines, cuirs de Cordoue, fourrures de loutre ou de zibeline…

En 1215, le roi Jean est contraint par ses barons à signer la Magna Carta, une grande charte des droits. The Print Collector/Print Collector/Getty Images
Et s’il est notoirement infidèle, il se montre bon père. Même envers ses enfants illégitimes qu’il dotera et mariera avantageusement. Jean sans Terre meurt dans la nuit du 18 au 19 octobre 1216, peu regretté. Rarement magnanime, injuste, mesquin, rancunier et cruel, il s’inscrit en négatif de l’idéal chevaleresque incarné par son frère Richard Coeur de Lion.

Et pourtant, le bilan de son règne ne sera pas que calamiteux. Même contraint, il a offert à son peuple la Magna Carta, toujours considérée comme l’un des fondements de la démocratie moderne. Et comme l’a écrit Winston Churchill dans son Histoire des peuples de langue anglaise: "Avec le recul du temps, il apparaît que la nation britannique et les peuples de langue anglaise doivent bien plus aux vices du roi Jean qu’au labeur des souverains vertueux."
* Jean sans Terre, par Frédérique Lachaud, éditions Perrin, 450 pages, 24,90 euros.
Par François Billaut

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