C’est l’une des collections
privées parmi les plus étonnantes, plus de 2.000 estampes japonaises du XXe
siècle réunies avec passion par la Néerlandaise Elise Wessels dans son musée
privé d’Amsterdam. La Fondation Custodia en présente plus de 200 d’une
cinquantaine d’artistes, parmi lesquels de véritables stars dans leur pays,
méconnus en Occident. Une révélation.
La pointe noire de son
pinceau se détache sur le fond rouge. Vermillon comme sa bouche soigneusement
dessinée sur sa peau diaphane. Cette Femme se noircissant les sourcils d’Itō
Shinsui a séduit ses contemporains en 1928. L’estampe, tirée à 200 exemplaires,
a même fait "sold out" auprès de l’imprimeur à succès Watanabe
Shōzaburō. Des dizaines d’années plus tard, elle tape dans l’oeil de la
collectionneuse Elise Wessels. La délicatesse de la scène lui évoque alors des
souvenirs, la précision de ses propres gestes lorsque, dans sa jeunesse, elle
fut… esthéticienne.
Sa passion pour l’estampe
japonaise du XXe siècle débute à la faveur d’un voyage d’affaires à Tokyo au
début des années 1980. Son mari Cees y ouvrait une succursale pour sa maison de
disques Roadrunner Records, un label spécialisé dans le hard-rock. Elise tombe
sous le charme de deux gravures sur bois.
Elise Wessels compte pas
moins de 2.000 oeuvres dans sa collection personnelle
Plus de 2.000 oeuvres
composent aujourd’hui sa collection personnelle, la plus importante en la
matière conservée au musée Nihon no hanga à Amsterdam, belle maison bordant un
canal non loin du Rijksmuseum. C’est à ce vénérable musée, d’ailleurs, qu’Elise
compte donner dans quelques années ces oeuvres, dont la plupart sont encore
ignorées en Occident.
La modernité s’exprime
aussi à travers le corps des femmes. Il est libéré chez La Danseuse (1932) très
Belle Époque de Kobayakawa Kiyoshi. Collection Elise Wessels - Nihon no hanga
Amsterdam
"Les images de
l’artiste Takehisa Yumeji, par exemple, sont très célèbres au Japon, raconte
Chris Uhlenbeck, le conservateur du musée. Là-bas, six musées lui sont
consacrés. Je dirais qu’après La Vague d’Hokusai, ses oeuvres sont les plus
populaires. Il est pourtant quasi inconnu en Occident! Nous sommes les premiers
à avoir publié un ouvrage à son sujet en langue étrangère."
Ses représentations
expressives de femmes, consumées par l’amour et la passion, suscitaient
particulièrement l’engouement des
jeunes filles. Elles se
déploient, à la toilette, légèrement rêveuses, comme dans les estampes de
Hashiguchi Goyō, mais aussi résolument indépendantes, coiffées à la garçonne,
fumant des cigarettes et jouant au billard, ou s’activant dans leur costume de
bain en moga (filles modernes) qu’elles sont.
Tous ses artistes affichent
une modernité tout en conservant la tradition pour point d’ancrage
Sous la houlette de
l’éditeur Watanabe Shōzaburō, et selon une stratégie commerciale
internationale, ces artistes ont contribué à relancer la gravure et à
renouveler le style des thèmes traditionnels. Les somptueux paysages du plus
prolifique de ces artistes, Kawase Hasui, ont grandement contribué au succès de
ce mouvement appelé shin hanga (nouvelle estampe).
Le Plongeon (1932),
l’audacieuse composition d’Onchi Kōshirō. Collection Elise Wessels - Nihon no
hanga Amsterdam
Le résultat est souvent
plus brut dans les oeuvres se réclamant de "l’estampe créative"
(sōsaku hanga). Une impression, même, d’inachevé se dégage des créations de
Yamamoto Kanae. Parti étudier en France la peinture occidentale, il réalisa des
estampes de paysages et d’habitants de Bretagne dans les années 1910. On pense,
en les voyant, aux peintres de l’école de Pont-Aven. Ailleurs, on évoque les
influences de Vallotton, de Van Dongen ou de Vuillard qui s’était lui-même
inspiré de la vogue du japonisme. Et devant l’audacieux Plongeon d’Onshi
Kōshirō, on songerait même à l’avant-garde russe.
Partout, la même impression
s’impose: celle d’une modernité affichée, tout en conservant la tradition pour
point d’ancrage. De l’art nippon de l’équilibre subtil…
Vagues de renouveau.
Estampes japonaises modernes 1900-1960, à la Fondation Custodia, Paris VIIe,
jusqu’au 6 janvier 2019.
www.fondationcustodia.fr
Par Marie-Émilie Fourneaux,
http://www.pointdevue.fr/culture/les-maitres-de-lestampe-japonaise-moderne-lhonneur_7377.html?xtor=EPR-1-[]-[20181024]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20181024
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