Aujourd'hui en ruine et
abandonné, l'hôtel Sofar accueille l'exposition d'un peintre britannique, Tom
Young, qui rend hommage à son héritage cosmopolite
Par AFP
Cette photo prise le 21
septembre 2018 montre l'extérieur de l'hôtel Sofar dans le village libanais de
Sofar, à 30 kilomètres de Beyrouth (Crédit : AFP / ANWAR AMRO)
Près d’une table de poker
au tapis vert usé, un portrait du charismatique acteur Omar Charif : dans les
ruines de l’hôtel Sofar, niché au coeur de la montagne du Liban, des peintures
font revivre une histoire glorieuse, brutalement interrompue par la guerre
civile.
Situé à une trentaine de
kilomètres de Beyrouth, au coeur du village éponyme, l’hôtel Sofar était l’un
des établissements les plus prestigieux du Moyen-Orient, du début du XXème
siècle jusqu’aux années 1970, recevant diplomates, militaires français et
britanniques, mais aussi stars du cinéma et divas de la musique arabe.
Mais cet hôtel de 75
chambres a été pillé et bombardé durant la guerre civile qui a ravagé le Liban
de 1975 à 1990.
Aujourd’hui en ruine et
abandonné, il accueille l’exposition d’un peintre britannique, Tom Young, qui
rend hommage à son héritage cosmopolite.
« Cet endroit est plein
d’Histoire », s’enthousiasme l’artiste, qui expose 40 toiles jusqu’au 14
octobre à l’hôtel Sofar, où fut ouvert le tout premier casino du Liban.
Malgré la guerre,
l’imposante façade en pierre de taille conserve son lustre. Les galeries et salons
déserts du rez-de-chaussée sont baignés de lumière. Sur les murs décrépis, des
peintures et des tableaux ont été accrochés.
Une toile où les tons
bleu-vert dominent représente les géants de la musique arabe et égyptienne: «
l’astre de l’orient » Oum Kalthoum, attablée avec le chanteur Farid El-Atrache,
pendant que le « rossignol brun » Abdel Halim Hafez chante la sérénade à une
danseuse du ventre. Tous trois ont séjourné au Sofar.
« Dernière mode parisienne
»
« C’était autrefois l’un
des plus grands hôtels du Moyen-Orient, c’est ici que des rois et des
princesses, des émirs et des généraux se retrouvaient », s’émerveille M. Young,
45 ans, aux vêtements tachés de peinture.
Sur un autre tableau, des
hommes en smoking font valser des femmes en robe longue lors d’un bal. La scène
est inspirée du récit que fait l’écrivain libano-américain Amin al-Rihani de sa
visite à Sofar, « le Palais des Nobles ».
« Il y avait ce soir-là une
soirée dansante à l’hôtel. Nous nous arrêtâmes (…) à regarder les danseurs, des
hommes en tenue de rigueur, et des femmes mises à la dernière mode parisienne,
avec des décolletés plongeants », narre le romancier qui dit avoir reçu un
accueil glacial en raison de sa tenue négligée.
Un autre tableau, inspiré
par une photo de l’AFP en 1947, immortalise une réunion diplomatique de la
Ligue arabe, organisée à Sofar pour discuter de la Palestine, un an avant la
création de l’Etat d’Israël.
L’oeuvre se trouve dans une
petite pièce éclairée par la faible lumière d’un lampadaire. Sur le tapis vert
usé d’une table de poker ayant réchappé au pillage, des jetons et un jeu de
cartes gisent éparpillés. A côté, l’acteur Omar Charif, dont le portrait a été
peint par M. Young, observe les visiteurs.
« On a voulu encourager les
gens à imaginer tout ce qui se passait dans cet hôtel (…) qu’ils y entrent
comme si rien n’y avait été changé », explique Noor Haydar, commissaire de
l’exposition. « Les cartes sont encore sur la table; dans les cuisines, la
lumière est allumée », poursuit-elle.
Construit en 1892 par les
Sursock, prestigieuse famille beyrouthine, l’hôtel de quatre étages se trouvait
sur la ligne des chemins de fer qui reliait la capitale libanaise à Damas, et
constituait une étape pour les notables en voyage.
« Souvenirs et racines
culturelles »
Les organisateurs de
l’exposition – dont Roderick Sursock Cochrane, l’un des propriétaires de
l’hôtel – espèrent ainsi insuffler une nouvelle vie au Sofar, en le
transformant en « espace pour l’art, la culture et l’éducation ».
En marge de l’exposition,
des ateliers artistiques mais aussi des intermèdes musicaux et dansants sont
organisés. Et quelques éléments de la vie quotidienne de l’hôtel sont présentés
au public, comme les horaires des trains de l’époque.
Des jeunes participent à un
atelier avec le peintre britannique de 45 ans Tom Young pendant une exposition
organisée au Grand hôtel Sofar, dans le village libanais de Sofar, à 30
kilomètres à l’est de Beyrouth (Crédit : AFP PHOTO / ANWAR AMRO)
Installé au Liban depuis
une décennie, M. Young s’y est fait connaître pour son engagement en faveur de
la préservation du patrimoine libanais. Il s’intéresse notamment aux vestiges
architecturaux du pays, les vieilles villas d’inspiration ottomane et
vénitienne menacées par la fièvre immobilière de l’après-guerre civile. A
Beyrouth, il a fait revivre la « Maison Rose », transformée en centre d’art
temporaire.
Dans un pays
multi-confessionnel déchiré par quinze années de conflit et où ce pan
douloureux de l’histoire suscite encore des débats infinis, M. Young
s’intéresse à l’épineuse question de la mémoire nationale.
« Les Libanais sont coupés
de leur Histoire. Ces lieux sont fermés et ça fait partie d’un problème plus
large, en lien avec la mémoire et l’effacement de la mémoire », dit l’artiste.
« Les souvenirs et les racines culturelles, c’est ça qui vous donne un
sentiment d’identité. Et en un sens, c’est ce qui manque au Liban.
https://fr.timesofisrael.com/au-liban-des-peintures-redonnent-vie-au-passe-mythique-dun-hotel/?utm_source=A+La+Une&utm_campaign=697de418ba-EMAIL_CAMPAIGN_2018_09_28_04_26&utm_medium=email&utm_term=0_47a5af096e-697de418ba-55586581
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