Prêtés de façon
exceptionnelle par la famille impériale du Japon, trente-trois panneaux sur
soie de l’artiste Itō Jakuchū sont pour un mois au Petit Palais à Paris dans le
cadre de Japonismes 2018. L’occasion unique de découvrir la magie de ce peintre
né en 1716 à Kyoto, chantre de la couleur et du mouvement.
L’occasion ne se reproduira
sans doute jamais. Celle de découvrir, grâce aux efforts de Christophe
Leribault, directeur du Petit Palais, l’oeuvre majeure d’Itō Jakuchū, ensemble
de trente-trois panneaux sur soie peints par l’artiste japonais entre 1757 et
1766.
Pivoines et petits oiseaux,
Vieux pin et Phénix blanc, Vieux pin et paon. Comme tous les animaux, ils sont
destinés à glorifier la
représentation de Bouddha.
Courtesy of Christel Jeanne
Au centre, la Triade de
Sakyamuni –représentant deux bodhisattvas et le Bouddha– entourée, de part et
d’autre, de quinze scènes naturalistes plus fantastiques les unes que les
autres figurant l’univers dans sa richesse.
Poissons et grues,
grenouilles et étoiles de mer, faisans et insectes ont été convoqués par
l’artiste, tous égaux dans la glorification de leur divinité. On reste bouche
bée devant la fraîcheur des couleurs, l’inventivité des compositions et la
modernité du trait de ce peintre peu ou pas connu de l’histoire de l’art du
Japon, et pour cause.
Des panneaux
exceptionnellement prêtés par l’agence de la maison impériale
Ces scènes naturalistes
réunies sous le nom de Royaume coloré des êtres vivants font partie de la
splendide collection de l’agence de la maison impériale qui dévoile rarement
ses trésors. Paris est ainsi la deuxième ville étrangère, après Washington il y
a six ans, à avoir la chance d’accueillir ce Royaume dans le cadre de
Japonismes 2018, festival culturel qui commémore 160 ans de relations
diplomatiques entre le Japon et la France, qui vient de recevoir la visite du
prince hériter.
Devant la Triade de
Sakyamuni, Raitei Arima, grand prêtre du monastère zen du Shōkoku-ji,
accueillait le 13 septembre le prince héritier du Japon, en visite à Paris.
Courtesy of Luc Castel
"Chez nous aussi,
Jakuchū est longtemps resté dans l’ombre", témoigne Aya Ota, conservatrice
en chef du musée des collections impériales à Tokyo, cocommissaire de
l’exposition du Petit Palais avec Manuela Moscatiello, responsable des
collections japonaises du musée Cernuschi à Paris.
On connaît Hiroshige et
Hokusai et leurs estampes reproduites en plusieurs séries au XIXe siècle.
L’oeuvre d’Itō Jakuchū n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’art japonais,
peinte pour l’essentiel sur le motif. Il faudra attendre les années 1970, bien
après la fin de la guerre et l’amoindrissement de la puissance de la famille
impériale pour qu’elles commencent à faire l’objet d’expositions destinées au
grand public.
Itō Jakuchū exprime la
pureté, la beauté et la force vitale de la nature dans ses oeuvres
Né en 1716 dans une famille
de grossistes en légumes de Kyoto, Jakuchū doit, selon la tradition japonaise,
prendre, en tant que fils aîné, la succession de son père au marché Nishiki.
Peu importe sa vocation d’artiste et ce besoin irrépressible de peindre les
poules et les coqs de la basse-cour familiale.
Il n’a que 22 ans lorsque
son père meurt, et, presque vingt ans durant, il va faire son devoir de chef de
famille. Jusqu’à convaincre l’un de ses frères de lui succéder afin de
s’adonner à sa passion de l’art, à laquelle s’ajoute une profonde foi
bouddhique.
Fidèle parmi les fidèles du
monastère zen du Shōkoku-ji de Kyoto, il obtient le privilège de copier les
peintures de méditation chinoises qui s’y trouvent, dont les plus anciennes
datent du XIIIe siècle.
Au rez-de-chaussée du Petit
Palais, chaque rouleau est vérifié à la loupe avant d’être accroché avec un
soin d’orfèvre. Courtesy of Christel Jeanne
Cet autodidacte tente de
nouvelles techniques, invente ses pigments, broie des minéraux qu’il agrège à
la colle de poisson et obtient par exemple un mystérieux bleu de Prusse au
moment même où il est inventé à Berlin. Toujours en gardant pour repère l’art chinois
classique. Peindre sur la soie, envers comme endroit, lui permet de merveilleux
effets de densité, rehaussés par une technique parfaite de pointillés.
Entre 1757 et 1766, il se
consacre à son Royaume coloré des êtres vivants afin d’exprimer la pureté, la
beauté et la force vitale de la nature. Peu après, le "maître du Pavillon
de l’esprit détaché", ou le "pieu laïc Jakuchū" comme il signe
indifféremment ses kakemonos de 142 centimètres de haut sur 79,7 centimètres de
large offre son oeuvre au monastère du Shōkoku-ji.
Les coqs tiennent une place
de prédilection dans l’oeuvre de Jakuchū. Courtesy of Christel Jeanne
Il disparaît en 1800, à 84
ans, après avoir réalisé de nombreuses peintures votives pour d’autres temples
de la région de Kyoto. À la fin du XIXe siècle, le bouddhisme subit de plein
fouet la concurrence du shintoïsme, devenu religion d’État de l’empire du
Japon.
Le Shōkoku-ji n’a d’autre
choix que "d’offrir" son royaume à la famille impériale pour
survivre, mais garde sa Triade de Sakyamuni qu’il conserve toujours aujourd’hui
dans le petit musée adjacent au temple de bois et de chaume. Paris accueille
cette oeuvre merveilleuse et plus encore. Car comme l’a dit le poète Baisao,
ami de Jakuchū, "la suprême habileté de la main qui compose ces peintures
communique avec le divin".
http://www.pointdevue.fr/culture/ito-jakuchu-paris-le-royaume-colore-des-etres_7099.html?xtor=EPR-1-[]-[20181001]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20181001
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