miércoles, 3 de octubre de 2018

ITŌ JAKUCHŪ À PARIS, LE ROYAUME COLORÉ DES ÊTRES VIVANTS


Prêtés de façon exceptionnelle par la famille impériale du Japon, trente-trois panneaux sur soie de l’artiste Itō Jakuchū sont pour un mois au Petit Palais à Paris dans le cadre de Japonismes 2018. L’occasion unique de découvrir la magie de ce peintre né en 1716 à Kyoto, chantre de la couleur et du mouvement.


L’occasion ne se reproduira sans doute jamais. Celle de découvrir, grâce aux efforts de Christophe Leribault, directeur du Petit Palais, l’oeuvre majeure d’Itō Jakuchū, ensemble de trente-trois panneaux sur soie peints par l’artiste japonais entre 1757 et 1766.
Pivoines et petits oiseaux, Vieux pin et Phénix blanc, Vieux pin et paon. Comme tous les animaux, ils sont destinés à glorifier la
représentation de Bouddha. Courtesy of Christel Jeanne
Au centre, la Triade de Sakyamuni –représentant deux bodhisattvas et le Bouddha– entourée, de part et d’autre, de quinze scènes naturalistes plus fantastiques les unes que les autres figurant l’univers dans sa richesse.
Poissons et grues, grenouilles et étoiles de mer, faisans et insectes ont été convoqués par l’artiste, tous égaux dans la glorification de leur divinité. On reste bouche bée devant la fraîcheur des couleurs, l’inventivité des compositions et la modernité du trait de ce peintre peu ou pas connu de l’histoire de l’art du Japon, et pour cause.
Des panneaux exceptionnellement prêtés par l’agence de la maison impériale
Ces scènes naturalistes réunies sous le nom de Royaume coloré des êtres vivants font partie de la splendide collection de l’agence de la maison impériale qui dévoile rarement ses trésors. Paris est ainsi la deuxième ville étrangère, après Washington il y a six ans, à avoir la chance d’accueillir ce Royaume dans le cadre de Japonismes 2018, festival culturel qui commémore 160 ans de relations diplomatiques entre le Japon et la France, qui vient de recevoir la visite du prince hériter.
Devant la Triade de Sakyamuni, Raitei Arima, grand prêtre du monastère zen du Shōkoku-ji, accueillait le 13 septembre le prince héritier du Japon, en visite à Paris. Courtesy of Luc Castel
"Chez nous aussi, Jakuchū est longtemps resté dans l’ombre", témoigne Aya Ota, conservatrice en chef du musée des collections impériales à Tokyo, cocommissaire de l’exposition du Petit Palais avec Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises du musée Cernuschi à Paris.
On connaît Hiroshige et Hokusai et leurs estampes reproduites en plusieurs séries au XIXe siècle. L’oeuvre d’Itō Jakuchū n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’art japonais, peinte pour l’essentiel sur le motif. Il faudra attendre les années 1970, bien après la fin de la guerre et l’amoindrissement de la puissance de la famille impériale pour qu’elles commencent à faire l’objet d’expositions destinées au grand public.

Itō Jakuchū exprime la pureté, la beauté et la force vitale de la nature dans ses oeuvres
Né en 1716 dans une famille de grossistes en légumes de Kyoto, Jakuchū doit, selon la tradition japonaise, prendre, en tant que fils aîné, la succession de son père au marché Nishiki. Peu importe sa vocation d’artiste et ce besoin irrépressible de peindre les poules et les coqs de la basse-cour familiale.
Il n’a que 22 ans lorsque son père meurt, et, presque vingt ans durant, il va faire son devoir de chef de famille. Jusqu’à convaincre l’un de ses frères de lui succéder afin de s’adonner à sa passion de l’art, à laquelle s’ajoute une profonde foi bouddhique.
Fidèle parmi les fidèles du monastère zen du Shōkoku-ji de Kyoto, il obtient le privilège de copier les peintures de méditation chinoises qui s’y trouvent, dont les plus anciennes datent du XIIIe siècle.
Au rez-de-chaussée du Petit Palais, chaque rouleau est vérifié à la loupe avant d’être accroché avec un soin d’orfèvre. Courtesy of Christel Jeanne
Cet autodidacte tente de nouvelles techniques, invente ses pigments, broie des minéraux qu’il agrège à la colle de poisson et obtient par exemple un mystérieux bleu de Prusse au moment même où il est inventé à Berlin. Toujours en gardant pour repère l’art chinois classique. Peindre sur la soie, envers comme endroit, lui permet de merveilleux effets de densité, rehaussés par une technique parfaite de pointillés.
Entre 1757 et 1766, il se consacre à son Royaume coloré des êtres vivants afin d’exprimer la pureté, la beauté et la force vitale de la nature. Peu après, le "maître du Pavillon de l’esprit détaché", ou le "pieu laïc Jakuchū" comme il signe indifféremment ses kakemonos de 142 centimètres de haut sur 79,7 centimètres de large offre son oeuvre au monastère du Shōkoku-ji.

Les coqs tiennent une place de prédilection dans l’oeuvre de Jakuchū. Courtesy of Christel Jeanne
Il disparaît en 1800, à 84 ans, après avoir réalisé de nombreuses peintures votives pour d’autres temples de la région de Kyoto. À la fin du XIXe siècle, le bouddhisme subit de plein fouet la concurrence du shintoïsme, devenu religion d’État de l’empire du Japon.
Le Shōkoku-ji n’a d’autre choix que "d’offrir" son royaume à la famille impériale pour survivre, mais garde sa Triade de Sakyamuni qu’il conserve toujours aujourd’hui dans le petit musée adjacent au temple de bois et de chaume. Paris accueille cette oeuvre merveilleuse et plus encore. Car comme l’a dit le poète Baisao, ami de Jakuchū, "la suprême habileté de la main qui compose ces peintures communique avec le divin".



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